Le Voyage à l’étranger
Le Voyage à l’étranger, roman, Lausanne et Paris, Bertil Galland et Grasset, 1974, 451 p.
ISBN 2-88015-002-7
Adapté pour la télévision par Philippe Ducrest.
Réédition en poche
Carouge, éditions Zoé, mai 2018, 544 p.
Préface d’Anne-Lise Delacrétaz.
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Voir l’interview de Georges Borgeaud au sujet de ce livre dans l’émission La Voix au chapitre du 31.10.1974.
Propos de l’éditeur, Bertil Galland
Ce livre est un monde, celui de Georges Borgeaud. Plus l’auteur parle de lui-même – et de son alter ego, Jean Noverraz, jeune précepteur suisse en Belgique – plus son roman s’ouvre, s’épanouit, trouble, enchante. Seuls des écrivains de premier ordre opèrent de tels miracles. Une gourmandise les possède. Le moindre objet, tout hasard, l’occupation d’une chambre nouvelle, un arbre, un pain, un geste, les animaux, le temps qu’il fait, créent une joie – ou l’inverse, qui n’est pas moins fort : le regret d’une joie manquée. Il y a un bonheur Borgeaud, auquel aucun de nos sens ne demeure étranger. Il conduit au bonheur du style, à ses finesses, à ses tendresses, à ses exactitudes frémissantes, à ses retournements à la recherche de l’émotion la plus vraie.
Cet homme heureux, comme le fut Rousseau en ses promenades solitaires et dans son écriture, est aussi le pire des tourmentés. Il croit porter sur son front l’illégitimité de sa naissance. Jean Noverraz ne règlera jamais ses comptes avec sa mère. Toute mesquinerie qu’il décèle en lui, c’est sa mère ! Il se sent épié, humilié. Une culpabilité l’aiguillonne. Il en dit trop. Il craint de gaffer, et il gaffe. On ressent, à tant de gaucheries, une angoisse bizarrement exquise – comme à la lecture des Confessions. Mais ces faux-pas, dans le château de Soye (qui est aussi le château de soi-même), ces doutes, ces feux de paille qui repartent toujours, ces froideurs, ces réconciliations, et ces élans vers les pères de rencontre (volontiers des ecclésiastiques), ces émois devant une maîtresse inacessible, mais attentive à ce que Jean Noverraz tente de révéler de lui, l’ensemble de ces turbulences intérieures nous permet d’entrevoir, finalement, l’éclat d’une sagesse. Une haute science de l’âme est cachée en ce livre. Car c’est l’âme, bien plus que le corps, qui est touchée ici par la passion. C’est elle qui échappe aux filières sociales, qui intègre chaque personne, chaque objet, dans ses secrètes hiérarchies. À cet égard, Borgeaud, le primesautier, est un homme d’ordre.
La vision de Georges Borgeaud découvre donc, d’un même mouvement et avec une acuité merveilleuse, le phénomène extérieur – le magasin de vélos, la mer, les truites, la pluie, la communauté des Ukrainiens, la porte dérobée du couvent de Bruges, une famille paysanne, une perle – et le phénomène intérieur, l’élan, le doute, la mémoire, l’espoir, le désappointement viscéral. Même parmi les nantis et les snobs, il ne connaît pas de relations humaines conventionnelles. Un suspens saisit le lecteur à chaque rencontre. On souhaite violemment une affection définitive, une réconciliation, la grâce, toute faute effacée. On redoute en ses fibres l’échec, que Jean Noverraz semble vouloir.
Voici le jeune précepteur suisse surpris dans son amitié passionnée pour Madeleine Cédrat, la Parisienne si proche et tellement étrangère. On le chasse du château. Il se retrouve seul, avec son vélo qu’il aime, mais qu’il abandonne, cachant dans sa sacoche un message à l’inconnu qui le prendra.
Ainsi Borgeaud, qui ne cesse de se dépouiller au cours de ce livre, n’apparaît-il jamais plus généreux, plus inaltérablement riche, qu’aux dernières pages où rien ne semble lui rester.