1987

Année des 73 ans, de la publication en France du Soleil sur Aubiac et du prix Médicis de l’essai.

20 janvier. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Paris. « Je suis un peu triste que dans ton affectueuse lettre, il n’y ait pas un mot concernant mon Soleil sur aubiac. Tu m’aurais simplement dit que tu n’avais pas le temps de lire en ce moment que cela m’aurait fait plaisir, qu’une existence livresque eut été donnée dans l’esprit et le cœur d’un ami qui, depuis longtemps, me disait qu’il était navré de mon long silence d’écrivain. De toi, cette indifférence me fait grande peine. J’en suis étonné, non pas de ma peine, mais de ton oubli. La littérature, la mienne surtout, n’appartient pas seulement au fait d’ajouter un livre de plus à la masse des nouveautés. Je m’engage si loin que je crois écrire pour faire confidence à mes amis. Ne t’inquiète, je t’aime profondément. J’entends déjà les raisons que tu me donneras de ton silence, mais sont-elles sérieuses ? » 21 janvier. Lettre de Paris à Jean et Christiane de Lavallaz. « … je serai en Suisse à la fin de cette semaine, 3 jours. Tout d’abord pour répondre à Monthey-Collombey à une réunion autour de mes origines valaisannes – j’éspère qu’on n’insistera pas trop là-dessus car je ne me sens pas aussi enraciné que Chappaz, par exemple – C’est Antoine Livio qui me questionnera. »

3 février. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Paris. « Mon cher Pierrot, bien entendu tu es pardonné. Je n’ai obéi qu’à un mouvement du cœur. Je tiens tellement à ton opinion sur mon livre que je me suis étonné de ne point en voir l’ombre dans ton message précédent. C’est qu’écrire, comme je te l’ai dit, est pour moi un acte essentiel et que je n’aime pas la littérature pour la littérature, mais pour ce qu’elle exprime en profondeur. Sinon j’écrirai[s] moi aussi des “sucettes à la menthe.” Je crains parfois que la passion littéraire ne soit qu’un divertissement… Heureusement ni dans ton esprit, ni dans le mien. […] Pourquoi n’écrirais-tu pas librement un article dans le J. de Genève sur mon livre ? Je pense que je mérite mieux qu’un papier d’humeur d’Isabelle Martin. » 11 février. Copie de lettre de Bertil Galland à François Nourissier : « Je suis heureux que tu aimes Le Soleil sur Aubiac. Ce livre appartient aux meilleurs de Georges. Il s’y révèle lui-même, à l’aise dans ses richesses* [*note : « intérieures, cela va sans dire ! »], avec son génie de l’attention, ses émerveillements, les distances qu’il sait marquer. Force d’un pays dans ses touffes d’herbe et dans sa destinée paysanne finissante, portraits cruels et superbes. Bref, j’ai hâte comme toi que cette œuvre paraisse enfin en France ». Même jour. Lettre de Bertil Galland où était insérée la précédente. « Pense (je t’accable de recommandations !) à La Grande promenade ! N’est-elle pas quasi achevée ? / Je me réjouis d’une critique de P.O. Walzer, homme admirable et net. / Que le Soleil t’illumine ! Je t’embrasse, / Bertil. »

16 mars. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Paris. « Voici mon texte sur Blaise Cendrars. Peut-être […] jugeras-tu un peu trop triste ce portrait d’un homme de réputation pittoresque et vive mais je suis arrivé tard dans sa vie d’écrivain bientôt malade et qui avait tout dit. Comment le cacher ? Tout écrivain a une biographie avec ses hauts et ses bas. Sa dimension humaine est plus intéressante à mon avis que sa légende. On a tendance trop fréquente de mettre l’homme de talent en dehors du destin commun. Un peu tout de même de pitié pour ses faiblesses, surtout quand elles sont plus physiques qu’intellectuelles. / Mille amitiés ! Je me réjouis de lire ton article dans le Journal de Genève. Merci. » 25 mars. Lettre des éditions Bernard Grasset renvoyant le manuscrit du Soleil sur Aubiac avec un jeu d’épreuves et demandant son retour avec corrections et bon à tirer pour le 31 mars.

12 avril. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Paris. Le remercie de son article dans le Journal de Genève. « [Le Soleil sur Aubiac] va paraître chez Grasset, sans photos, et corrigé de moult coquilles, repris dans les passages que tu trouvais avec raison obscurs (sauf un), ré[é]crit même. »

5 juin. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Paris. « […] je serai, enfin, au Grès en juillet […] en compagnie d’un chat pour qui les voyages sont un supplice. Personne sur le Causse à qui le confier, sinon à de rustres voisins qui ne sauront jamais lui offrir que la nuit sous les étoiles et une douteuse écuelle de lait et de mie de pain… Il y aurait là de quoi déséspérer un animal qui a l’esprit d’un enfant gâté, qui vit avec quelqu’un qui a une passion pour lui… / Enfin et, c’est l’essentiel, il faut que j’achève mon Cingria pour la fin de l’automne. Ce n’est pas une petite affaire. Le Soleil sur aubiac qui ne brille pas réellement à Paris, cependant m’occupe à tous instants. Les hommages, les articles vont sortir de terre dans les semaines qui viennent, comme des radis. Déjà Nourissier a pondu un article pour le Figaro Magazine du 13 juin. On dit que Pivot m’invitera à son bavardage hebdomadaire – ceci sans ironie ! » 15 juin. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Paris. 23 juin. Lettre des éditions 24 Heures. « En effet, nous apprenons votre prochain passage sur le plateau d’Apostrophes et nous en sommes très heureux ».

1er juillet. Note du restaurant La Coupole, Paris : feuilletés, tartares, dessert, vin, Evian. Part ensuite pour Calvignac. 26 juillet. Est à Cahors. 27 juillet. 73 ans.

19 septembre. Remise, à Limoges, du Grand prix littéraire de la Corne d’or limousine pour Le Soleil sur Aubiac. Selon un communiqué, ce prix récompense une « œuvre mettant en scène la vie rustique en empruntant au cadre, aux moeurs rurales, sans préoccupation régionaliste ». Article n° 6 du Grand prix littéraire de la Corne d’or limousine : « Le “Grand prix littéraire de la corne d’or limousine” est doté chaque année par le Herd-book de la race bovine limousine, au choix du lauréat qui se voit remettre : / – soit un bouvillon vivant de bonne race Limousine (que le Lauréat doit toutefois s’engager à élever normalement, en autorisant des contrôles du Herd-book de la Race Bovine Limousine) / – soit le poids de l’auteur en viande Limousine de “première catégorie” / La dotation représente à la date de la rédaction du présent Réglement une valeur moyenne d’environ huit mille francs [français]. »

2 octobre. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Paris. « Merci, mon cher P.O., de me féliciter du prix de la Corne d’Or. En réalité, c’est un taurillon vivant qu’on voulait me donner à Limoges, de façon à le faire engraisser dans la ferme où il était né – j’aurai[s] payé l’herbe et l’étable – soit pour faire de lui un reproducteur, soit pour la boucherie. J’ai préféré l’abandonner pour ne pas savoir son avenir amoureux ou sa mort. On m’a remis, on me remettra la somme de 8000 frs. frs., prix d’un jeune animal d’avenir. […] Quant à Théoda de Corinna [Bille], nous l’avons écrit à Sierre, ensemble. Plus précisément, j’ai souvent repris ses phrases pour les rendre moins maladroites ou encombrées de choses inutiles. C’est ainsi ! Je ne m’en suis jamais vanté mais j’ai dû, me semble-t-il, t’en faire un jour la confidence. J’ai parmi mes lettres la reconnaissance de C.B. à mon égard et l’exemplaire de grand luxe édité par Gonin à Lausanne, dont la dédicace exprime sans réserve la reconnaissance publique, naturellement si je la montre. / Je t’annonce que je pars mercredi prochain avec F. Nourissier à Cognac pour recevoir le prix Jacques Chardonne qui m’a été attribué. Je t’annonce aussi que je t’aime ainsi que Simone sans réserve et que je me réjouis de vous revoir. » 7 octobre. Remise du prix Jacques Chardonne (deuxième lauréat de son histoire) lors d’un déjeuner dans les Salons de l’hôtel de Ville de Cognac pour Le Soleil sur Aubiac. Président du Jury : François Nourissier de l’Académie Goncourt ; secrétaires : André Bay, Jacques Brenner ; membres: Madame Moucky Elsen, Philippe Brugnon, Jean-Paul Caracalla, Michel Déon de l’Académie Française, Jean Duche de l’Académie d’Angoumois et de l’Académie de Saintonge, François Fontaine, Bernard Frank, Ginette Guitard Auviste, Jean Glenisson Directeur de l’Académie de Saintonge, Gérard Muller, Eric Roussel, Gilles Pudlowsky lauréat du Prix Jacques Chardonne 1986. « Le prix Jacques Chardonne se propose de couronner une œuvre de langue française (chronique, journal, essai, récit, nouvelles ou roman) qui se distingue notamment pour ses qualités de style et sa liberté d’esprit. » 50.000 francs français. Brouillon du discours : « Je suis trop timide pour [ê]tre bon discoureur. Aussi je serai le plus simple possible, le plus banal des orateurs en vous disant merci du fond du cœur de m’avoir jugé digne du prix Jacques Chardonne. Chardonne a été très tôt dans ma jeunesse un auteur pourrais-je dire exquis, délicieux, du bonheur, de la transparence de son expression. Plus tard quelques relectures de certains de ses romans m’ont laissé apparaître ce qu’ils avaient de pudiquement douloureux, amoureusement résignés et tout voué aux destins irréparablement solitaires, pour finir dans l’inconnu. C’est atteindre le fond de tout par les voies les plus pudiques. / Enfin, pour justifier ma propre légèreté je retiens dans les lettres à Nimier, cette phrase admirable : / Puis pour rappeler mon attachement à Chardonne, je ne veux pas oublier qu’il a pris son nom d’écrivain à un village de la côte vaudoise, vigneronne et baignée par la douceur du lac. Au fond par esprit de réciprocité j’aurais dû signer mes écritures d’un J. Barbézieux de Cognac. Merci de tout mon cœur. »