1990

Année des 76 ans, du Prix de consécration de l’Etat du Valais (remis en janvier 1991).

3 janvier. Lettre à André Durussel de Paris. « Il faut dire que j’ai beaucoup voyagé cette année, au point de demander à un corps qui prend de l’âge, plus qu’il ne peut accomplir : Canada, Suisse, Toscane, Catalogne, Allemagne même avant l’été, enfin le pays lotois. […] Peut-être pourriez-vous m’envoyer un jeu d’épreuves [de votre livre], car il me semble avoir rencontré deux ou trois légères inexactitudes biographiques. D’ailleurs, cela n’a aucune importance sur le plan général. » 18 janvier. Tournage du « Plan-fixe » de Bertil Galland. 21 janvier. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Paris. « Je viens de traverser de rudes semaines, à partir du 15 décembre jusqu’au dix de ce mois. J’ai, durant tout ce temps, entre[te]nu par de basses maladies, broncho-pneumonie et particulièrement honteuse la grippe intestinale. Tout cela, je l’ai souffert durant un voyage en Catalogne où un théâtre de Barcelone jouait mon adaptation du don Carlos de Schiller qui lui paraissait plus court et plus “modernisé” (?) que l’originale pièce. C’était cocasse de s’entendre jouer dans une langue, le catalan, que je ne comprenais pas. J’ai assisté 3 fois au spectacle sans me reconnaître. C’était d’ailleurs une représentation assez médiocre. Mais le théâtre de la Ville de B. m’avait officiellement invité (changement de plume) avec tous les égards et même une poignée de petites pesetas. Un calicot barrait la rue d’un balcon allant à un autre balcon où je pouvais lire : don Carlos de GEORGES BORGEAUD d’après Schiller. C’était confondant ! […] Je me suis amusé de cette passion soudaine pour Jean Roudaut dont l’œuvre pour moi est assez inac[c]essible mais ravit la rue d’Habsbourg […] j’ai eu, il y a 4 jours, une troupe de réalisateurs conduits par Galland pour monter un Plan-fixe en noir et blanc, commandité par le Pays de Vaud. Le lendemain c’était au tour de Jean Cuttat de passer à la postérité pelliculaire. J’ai eu une grande joie à le revoir et à dîner avec lui et la smala cinématographique. Il m’avait envoyé la veille ses poèmes dans la belle édition jurassienne. Quel beau poète ! Je ne l’ai compris tout à fait que lorsque cette occasion de le lire m’a été donnée. […] Sois gentil avec moi dans ta note biographique. N’efface pas de mes promotions le Prix des Critiques donné par Florence Gould. Je l’ai bien connue aussi. »

8 février. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Paris. « De toutes façons Lausanne va entreprendre un nouveau tirage [du Soleil sur Aubiac] quand j’aurai donné à Galland (qui n’est plus au journal) la version de la Grande Promenade, petit volume à paraître à la gloire de la campagne vaudoise et d’une famille presque adoptive. Pourquoi pas [rééditer en Poche suisse] la Vaisselle des Evêques ? Il est vrai que j’y malmène un peu les “Chapazzans”. Le tort serait de croire que dans ce roman que l’on n’aime pas ordinairement, j’ai voulu prendre une revanche sur un conflit amoureux dont le poids dans ma mémoire s’est bien allégé, voire même éloigné pour mon repos et mon agrèment moraux. Je n’ai pas pour l’écrivain [Corinna] Bille une aussi grande admiration que toi. Bien entendu, il y a dans la surabondance, de belles réussites, parmi lesquelles Théoda dont tu sais que C. et moi nous l’avons travaillé ensemble. Il existe dans mes archives un témoignage de reconnaissance de Fifon [Corinna Bille] qui en apporte la preuve. Je dois dire que l’exploitation de Maurice du souvenir de sa femme me chiffonne un peu mais il est accordé à Chappaz une indulgence de la part des littéraires que je n’oserais contester. Et puis si tu réussissais à obtenir des droits sur un de mes bouquins – ce ne sera pas difficile, bien sûr – je compte sur toi pour que Dimitri m’honore de quelques droits d’auteur. Je n’ai pas de maisons, ni de vignes où me retirer en cas de pénurie. Je dis tout cela sans amertume car le monde des lettres ne vit que par de douteux combats. Mon C.A.C. va bientôt paraître. Je l’ai réduit à une longue préface suivi d’un choix de textes. Oui, voilà notre très grand écrivain. […] Je serai à Carona durant le mois de mars, à la Casa Pantrova. quelle chance si vous veniez m’y voir. » 12/22 février. Lettre commencée le 12, oubliée, recommencée le 22, à Pierre-Olivier Walzer de Paris. « Je l’ai vu [Marcel Imsand] à la première de Barbara. […] Oui, d’accord pour une page ou deux sur mes rapports amicaux avec Cendrars. »

Mars. À Carona, près de Lugano, pour tout le mois. 10 mars. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Carona. « Je suis seul comme un ballon de gamin flottant sur le lac et non récupérable. Je dors, je lis. Le Nourissier enlevé avec un art d’écriture elliptique étonnant mais emportant un noir sujet, la mort complaisante, la vieillesse fatale – il faut renverser les adjectifs – Il aurait pu, ce livre, me jeter bas de mes petites altitudes. Heureusement le printemps est là, autour de moi, sur les arbres, dans les prés, dans le chant et les amours des merles que j’aime pour leur exubérance. En France, on les appelle des béjaunes. Je ramasse comme les petites filles anémones et primevères. Je respecte la modestie des violettes. N’insiste pas trop sur mon rousseauisme. Ce n’est pas parce que j’ai besoin de la NATURE (terme sans dimension) que je mets les pas dans la prédication du sieur genevois. Mais enfin, le malentendu est flatteur. »

8 avril. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Paris. « Paris, 8 avril 1990 / Mon bien cher Pierrot, j’ai lu d’une traite ton après-midi à Ropraz. Quel auteur ne serait pas heureux de se voir associé à Chessex et mis avec lui parmi les meilleurs romanciers S. R [de Suisse romande] ? Je t’en remercie ! / Mais où es[…]-tu allé chercher que “je crois qu’après la mort nous nous retrouverons tous ensemble dans un jardin enchanté en train de psalmodier des cantiques venus de l’enfance.” Outre que la sottise d’une telle affirmation n’existe ni dans mes propos ni dans mes livres, je ne connais de mon enfance que la trique et que les punitions. Ma complaisance envers l’enfance n’est pas dans les paradis de la mémoire mais dans la force que j’ai eue de résister à ses horreurs. Quelle bêtise que la consolation par des cantiques ! Est-ce que j’ai écrit dans mes livres de telles sottises ? Faudrait-il croire que ma détresse, en fait ma tristesse profonde ont pu t’échapper ainsi que les réflexions ici ou là sur la mort dont certaines sont terribles mais pas dans la note gesticulante et pleine d’éclats de l’homme de Ropraz. Ah ! surtout ne fais pas de moi un père capucin donneur d’images et d’argent ! Je suis un peu déçu de la légende de papier doré que tu me fais. / Je ne veux guère insister. Je te remercie pour avoir cherché à me faire plaisir, à m’honorer mais pas de cette façon là, je t’en supplie. / Je te pardonne parce que j’ai la plus vive affection pour toi mais je n’aime pas la littérature seulement pour son épiderme. Je vais encore t’étonner. / J’ai rédigé en partie le Blaise Cendrars. / Je t’embrasse / G. » 20 avril. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Paris. « Mon bien cher Pierrot, je pense qu’il t’est arrivé une ou deux fois dans la vie journalière, de laisser “monter” le lait dans la casserole que tu devais surveiller. C’est ce qui est advenu après la lecture de ton livre. En effet, mon humeur à propos de la phrase incriminée a été excessive. […] Puis à Carona, j’ai fait une découverte. Je n’avais pas lu les deux passions de Corinna Bille. C’est le seul livre en français (ou à peu près !) qui avait droit de cité dans la bibliothèque alémane. Quelle écriture médiocre ! Quelle imagination enfantine ! Tout ce qui m’agaçait chez elle, la rêvasserie et le désir charnel (curé ?) est là. C’est une œuvre pleine de gravier comme des moules mal lavées. Je ne comprendrai jamais la place excessive qu’on lui donne. Chappaz a une tout autre dimension ! Cette découverte m’a laissé ahuri et triste. Il y a là une sorte d’imposture presque. Tu sais que pour moi la littérature a non seulement un sens mais elle doit aussi acquérir la dignité. J’enrage que l’on publie des fonds de tiroir de cette créature superbe dans sa jeunesse, alors qu’elle a écrit 3 ou 4 grands livres et qu’il faudrait en rester là. J’ai peur, en pensant à ta rigueur, que tu la laisses un peu poursuivre le souvenir d’une femme belle qu’il aurait fallu “diriger” dans ses écrits. Pourquoi le Chappaz ne l’a-t-il pas fait ? Il en serait bénéficiaire indirectement. / Tout cela est naturellement écrit dans le contexte de mes souvenirs et du temps où j’ai approché un auteur que la vie a, peut-être, mutilé. Bref, j’étais dans un mauvais moment d’humeur, après Carona. Moi aussi je pense au temps, au bout du chemin que j’aperçois. Non pas à la façon publique de Nourissier mais dans le ressassement intérieur. »

7 mai. Grande salle du conservatoire de Lausanne, présentation du « Plan-fixe », en hommage « au plus aimé des rêveurs solitaires, au plus raffiné des cueilleurs de simples, en qui Vaud, Paris ou les Causses saluent l’un de leurs grands écrivains ». 9 mai. Casino de Rolle, présentation du « Plan-fixe ».

16 juin. Se trouve à Cajarc. 28 juin. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Calvignac. « … je suis installé ici depuis 15 jours que j’ai passés à remettre en état mon pigeonnier extrêmement accablé par plus de 10 mois d’absence, sans oublier le devoir que j’avais à assister à Cajarc à une Exposition du peintre Bissière (lotois célèbre et défunt) organisée par Madame Pompidou dans la succursale du “pompidolium” parisien. »

7 juillet. Se trouve à Calvignac. 17 juillet. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Calvignac.

13 août. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Calvignac. « Un mot pour te dire que j’ai reçu visites ici du dr Pierre Philippe et de son père, frère plutôt, venus me surprendre durant la semaine la plus caniculaire. Nous avons bavardé sous les chênes. Je leur ai raconté mes démarches pour donner à un canton suisse-ami ma bibliothèque, mes cadres et tableaux, voire ce que je laisserai d’inachevé […] Après tout Cajarc avec sa succursale Claude Pompidou ne serait pas à dédaigner mais le retour en Suisse, non sentimental mais intellectuel, ne me déplairait pas. »

26 septembre. « Plume en liberté / Rencontre avec Georges Borgeaud / Théâtre de Valère à Sion ». Rencontre organisée par le Crédit Suisse avec des auteurs romands en coproduction avec la Radio Suisse Romande (Espace 2). Sur la plaquette d’annonce, Le Jour du printemps est annoncé en préparation, à paraître chez Grasset.

23 novembre. Lettre de la Société suisse des écrivaines et écrivains. « Nous vous remercions de votre lettre du 14 octobre et c’est avec plaisir que nous vous annonçons aujourd’hui que le Conseil de Fondation de notre Fonds social et vieillesse vient de décider de vous verser une rente mensuelle de 400 francs à partir du mois de novembre. »