1993

Année des 79 ans, de la première projection du film de Dominique de Rivaz « Georges Borgeaud ou Les bonheurs de l’écriture » (tourné avec Frédéric Wandelère pendant l’été 1992 à Calvignac) .

3 février. Lettre de Frédéric Wandelère. « J’ai eu de tes nouvelles par Pierre-Olivier Walzer. […] J’ai travaillé tous ces jours sur les bandes enregistrées du film, avec le texte transcrit sous les yeux. Tu étais vraiment très présent. » 5 février. Date d’un acte de naissance conservé, extrait du registre des naissances de l’arrondissement de l’état civil de Lausanne, où l’on apprend qu’à sa naissance, sa mère est domiciliée à Vevey. Fait confirmé par les photos de Georges enfant sur un balcon, avec en arrière-plan la Dent de Jaman (sommet des préalpes vaudoises) telle qu’elle apparaît depuis Vevey. 15 février. Lettre de Frédéric Wandelère. « Merci de ces inoubliables moments, rue Froidevaux. […] J’ai écrit à Claude Blancpain pour lui suggérer de te donner le prix de sa fondation. […] Merci pour les Italiques dédicacées à Stéphanie. Elle t’a mis au pinacle. »

8 avril. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Paris. « Si, en effet, je vais mieux aujourd’hui j’ai le souvenir d’être passé hier dans un tunnel bien sombre et long où mes enthousiasmes, ma ferveur à vivre ont été marquées par un ralentissement que je craignais de ne pouvoir surmonter. Les anti-biotiques sont responsables de cet état, au point que je me demande si toute notre personne n’est pas faite de l’étoffe des songes qui se déchire irréparablement. / Tu as raison dans tes remarques de pion (je n’emploierai pas ce nom !) Les règles de la grammaire, tout au moins certaines d’entre elles, ne sont pas entrées autoritairement dans ma caboche. J’hésite toujours un peu devant quelques unes d’entre elles. Paresse de l’esprit, tremblement de mauvais élève devant leur complexité ? Je n’en sais rien ! […] Oui, je suis un esprit confus dans l’expression littéraire mais assez peu dans la réflexion. […] Je dois venir au pays du 21 au 25 mai pour présenter le film de Dominique de Rivaz à Sion, Fribourg, Lausanne… […] Je suis tout à fait de ton avis en ce qui concerne l’éternelle abstraction [à propos du livre sur Bitran] mais je ne pouvais pas refuser ce travail. Il était bien payé et Bitran a beaucoup insisté pour que j’écrive un texte sur sa peinture. J’ai beaucoup souffert à l’écrire car le cœur n’y était pas mais une certaine estime pour la vigueur des couleurs m’a poussé à entreprendre ce très difficile exercice. Il y a parfois une sorte de fierté à surmonter ses propres goûts, ses opinions traditionnelles. Et enfin, ce n’est pas par là que les gens garderont un brin de mémoire de mes capacités. D’ailleurs, je rédige en ce moment un Gaston Vaudou pour Daulte qui me donne presque trop de plaisir à le faire. […] Christine [Shnidrig-Arquembourg] a fait un bel ouvrage sur un sujet insaisissable. Je suis plein de reconnaissance pour elle et pour toi qui veut bien le faire publier. » 11 avril. « Mon cher Pierrot, j’ai fini par comprendre que tes remarques grammaticales concernaient non pas une lettre que je t’avais adressée mais ma préface à Bitran. […] Mais il y a une erreur ÉNORME bien que je ne sois pas certain que l’ami qui me l’a indiquée soit dans le vrai : La poésie est le réel absolu ne serait pas d’Hölderlin mais de Novalis. Ah ! si tu pouvais me dire où est la vérité ! » 15 avril. Lettre de Frédéric Wandelère. « Je suis rentré de Marseille tout à l’heure, et j’ai trouvé ton mot. Je devrais voir le film terminé vendredi à Berne, séance de travail. Je t’en dirai des nouvelles immédiatement. » 17 avril. Lettre du même. « J’ai enfin vu le film, hier. Tout va bien. Dominique a fait un excellent travail au montage. Ne te fais plus de soucis. » 19 avril. Lettre du même. « Beaucoup de détails très bien ! Carlos [le chat, appelé aussi Champagne] est parfait, immortel. »

14 mai. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Paris. « Fernand Dubuis, qui fut un grand ami (difficile) et un excellent peintre m’y avait [à Orta] amené, il y a longtemps, avec sa femme. Nous y avions séjourné 3 jours d’un été inoubliable, dans un hôtel au bord du lac et dont les fenêtres donnaient sur l’île de San Giulo. Nous étions montés au Sacro Monte (?) en prenant le chemin de Nietzsche et de dame Salomé. Orta lui-même est plein d’un charme propre à cette Italie encore au Nord et trempant ses pieds dans un début de Sud. Il y a des palais un peu vétustes mais où en rêve je désirerai[s] vivre puisque tout cela n’est pas disponible réellement. J’ai tiré des photos que je te montrerai, particulièrement de cette longue rade qui aboutit au sommet de la pente à une petite église bâtardement baroque mais comestible comme une crème à la glace pistache. […] Le second séjour sur l’invitation de Galland fut moins intimiste. Il y avait Chessex, Chappaz, Corinna, Bouvier… d’autres encore mais plus particulièrement une prostituée – elle tenait à ce titre – dont le nom m’échappe mais qui a une belle plume et qui est sympathique mais zélatrice à la cause et la défense de ses consœurs. » 29 mai. Début d’un séjour à Calvignac.

14 juin. Lettre de Frédéric Wandelère. « Il y a une sublime exposition Balthus à Lausanne. Arrange-toi pour la voir quand tu viendras ici. » 22 juin. Projection du film de Dominique de Rivaz « Georges Borgeaud ou Les bonheurs de l’écriture » (tourné pendant l’été 1992 à Calvignac) à Sion, Cinéma Capitole. Présence de Borgeaud et Dominique de Rivaz. 23 juin. Tournage d’un entretien à propos de Corinna Bille le matin, pour le film de Pierre-André Thiébaud Corinna Bille, la demoiselle sauvage. Le soir, projection du film de Dominique de Rivaz et Frédéric Wandelère au Rex à Fribourg. 24 juin. Émission « Entrée publique » sur Espace 2, en direct, avec Jean Perret. Le soir, projection du film au cinéma Bellevaux à Lausanne. 25 juin. Projection du film Délémont au cinéma La Grange. 30 juin. Lettre de Frédéric Wandelère. « Ce petit mot très rapide, – mais au diable les tartines ! – pour te dire le bonheur complet de ces journées en ta compagnie, de cette fête autour de ton œuvre et de ta personne. Nous sommes – je le dis simplement – pleins d’affection pour toi. Stéphanie était radieuse, conquise. Notre jeune ami Christophe (de Marseille), conquis aussi. C’était si gentil de nous réunir, tous quatre, de nous sentir d’une même famille ! »

20 juillet. Lettre de Frédéric Wandelère. « Une lettre de toi c’est un moment de bonheur qui commence dès que j’ai identifié ton écriture sur l’enveloppe, et qui se poursuit bien après que j’en ai achevé la lecture et les relectures… » 27 juillet. 79 ans.

31 août. Carnet : « Je lis sous les chênes. C’est la fin de la dernière journée d’août 1993. Les feuilles de chêne tombent sur la table de fer. Demain septembre, j’irai voir si les colchiques sont sortis dans le champ qui avoisine le lavoir. L’automne apparaît dans son ombre surtout car le soleil est encore impitoyable quand il est découvert. Tout est d’une clarté (mystique). Il n’y a que beauté autour de moi à tout jamais inexplicable et pire encore d’être décrite. Pourquoi ne serais je pas pétrifié comme la fille de Lot dans ce contexte que je ne verrai plus et qui aura été le dernier de mon émerveillement terrestre. / Je m’oblige à lire le manuscrit de l’autre. Rien de ce que j’exprime plus haut n’apparaît même sous une autre forme. Il y a l’agonie d’un père, une fille qui a fait un mauvais mariage. Est ce que ces misérables banalités me seront une fois de plus imposées. Je me serai détruit à vouloir faire plaisir. Laissez moi donc la littérature ne m’a jamais comblé, sinon dans le pathétique que parfois elle exprime. / D’ailleurs elle ne supporte pas du tout que l’on ne s’occupe pas d’elle quand on a imprudemment par trop fréquenté sa compagnie. / Jusqu’à 80 ans, celui-ci dira pourquoi il n’a pas été heureux, pourquoi il a été trompé. C’est la plainte obsessionnelle. / Cette beauté des heures, d’un lieu, d’un silence, d’une solitude que l’on ne peut exprimer que par le mode descripti[b]le et c’est mon chagrin. / Serait-ce que l’indicible est tout à la fois notre ambition et la limite que l’on ne peut forcer ? »

16 octobre. Projection du film de Dominique de Rivaz au Centre Culturel Suisse à Paris.

8 novembre. Commande de Swissair Gazette d’« Un article sur le sujet : “Conte d’hiver sur le Léman”. / Le texte devra être un portrait du lac en hiver. L’auteur parlera des sites qui le bordent (plus particulièrement la région de Montreux et le Pays de Vaud), il évoquera ce qu’ils lui suggèrent (sensations, visions, souvenirs personnels), ainsi que les ombres du passé (grands écrivains, philosophes, personnages de romans, peintres inspirés par le lac, poètes), mais de manière vivante, avec sa vision d’homme de la fin du XXe siècle. »

15 décembre. Lettre à André Durussel de Paris. « Mon très cher André, en effet, tu as raison de te plaindre de mes silences et du temps que je prends pour répondre à ta lettre du 14 novembre. C’est ainsi ! J’ai le défaut et non les qualités de Gustave Roud qui mettait parfois plusieurs mois pour remercier d’un envoi d’un courrier. Il vaudrait mieux que je l’imite dans la qualité de ses réponses ! / J’ai passé un été assez médiocre. Les fantaisies du temps trop chaud ou trop pluvieux, froid déjà en septembre ont un peu influé sur mes humeurs. De petits et agaçants malaises physiques, dont un rhumatisme au pouce de la main droite, des douleurs dentaires, des passages inutiles de gens à me déséspérer pour avoir été découvert pour un seul livre, le Soleil sur Aubiac, ont entamé mon courage d’écrivain. Personne n’a encore bien compris que c’est le silence qui m’inspire. Pour te rassurer, je te dirai que j’ai entamé assez largement ma Grande promenade dont le titre ne me plaît plus guère car l’épisode n’est plus l’essentiel du récit. […] Maurice Chappaz a passé au centre culturel de Paris. Heureux de le revoir et de sceller de plus en plus un retour à l’amitié après des malentendus de jeunesse et d’amoureux de la même figure, Corinna Bille. Je l’ai trouvé cependant un peu las, répétitif et obsédé par la fatalité de nos âges à tous les deux, bien qu’il ait un an ½ de moins que moi. / Je suis allé en août en Suisse où on projetait dans quelques villes un film de Dominique de Rivaz sur le grès et fatalement sur l’oiseau de nuit, que le jour aveugle l’été, qui l’habite. […] Mon chat vient de sauter sur ma table pour se coucher sur ce feuillet. Je continue sans l’avoir brutalisé, en le chassant. […] Tu sais l’amitié et l’estime que je te porte, au[x]quels j’ajoute la durable reconnaissance pour ce petit livre que tu as consacré à mon travail capricieux. Tu y as découvert des fidélités, de racines religieuses au[x]quelles personne ne veut croire. C’est assez désolant car je n’appartiens nullement aux modes désacralisées du temps. »