
1994
Année des 80 ans.
Sur l’agenda de cette année, au mercredi 27 juillet : « 80 ans à l’aube… y arriverai-je ? »
10 janvier. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Paris. « Quelles justifications te donner de mon silence ? Mon état mental, sans doute, rend difficiles toutes entreprises depuis plusieurs semaines. La phrase toute simple : je ne suis pas très heureux depuis quelques temps : lassitude, déceptions, isolement, dégoût de la “marche du monde”, sans oublier l’âge, les jours qui ne s’imbriquent pas harmonieusement, la mélancolie dont le mot est trop beau par rapport au résidu qu’elle dépose sur mon “âme”. Une flamme baisse dans mon esprit. Ton énergie au travail à travers les embûches de la santé devrait être un exemple pour moi mais il m’arrive de croire bien vain le travail de l’écriture particulièrement. Non que je n’aie plus rien à dire, loin de là, mais aurai-je le temps ? Il m’arrive même de me lasser d’un succès que j’ai et que mon sentiment juge injustifié. Bref mon encre a pris le noir de Chine. »
Février. Se casse l’épaule. 20 février. Agenda : « Sierre ou Sion Départ Paris 12.21 arrivée Lausanne 16.07 départ Lausanne 16.13 Sierre ». 21 février. Agenda : « Chappaz / St Maurice ». 22 février. Agenda : « Sion / Chappaz / St Maurice ». 23 février. Lettre de Frédéric Wandelère. « … la lettre que j’ai envoyée, il y a plus d’une année, à Claude Blancpain pour lui suggérer de t’attribuer son prix. Ensuite Yoki a pris le relai et c’est son intervention qui a été décisive. – Ce qui fait que je sais parfaitement pourquoi tu viendras à Fribourg ! […] J’ai obtenu que la revue Ecriture te consacre une bonne partie de son prochain numéro. […] Enfin, nous souhaiterions beaucoup avoir un ou des textes inédits – petits ou longs – : est-ce envisageable ? » 24 février. Retour à Paris. 26 février. Lettre à Pierre-Olivier Walzer. « Mon cher Pierrot, ta présence et celle de Simone durant les journées fribourgeoises m’ont été très douces. […] Il est vrai que dans ce curieux marathon honorifique, mes bobos étaient une épreuve car j’avais l’impression que j’étais un invalide sans ressources. […] Pour le reste, c’était charmant, chaleureux et bénéfique pour mon âme un peu désolée. […] Je retrouve ma main, encore un peu tremblante. »
24 mars. Agenda : « déj. Humeau / Radio ». 31 mars. Lettre de Frédéric Wandelère. « Gracq m’a répondu très gentiment : je te montrerai sa carte pleine d’éloge et d’amitié pour toi, pour ton travail. Mais il se juge trop vieux, trop déclinant pour produire un texte. […] On me dit que tu t’es cassé l’épaule ! Attention, prends soin de toi, ménage-toi. »
Avril. Télégramme de Jacques Chessex envoyant ses vives félicitations pour le prix Blancpain. 19 avril. « La Fondation Claude Blancpain pour le soutien de la culture française à Fribourg attribue son prix 1994 à Georges Borgeaud, à la Bibliothèque cantonale et universitaire. La laudatio est prononcée par Frédéric Wandelère. Yoki évoque les souvenirs fribourgeois du récipiendaire. » 20 avril. À Berne, invité par les Archives littéraires suisses (Marius Michaud).
Mai. Dédicace de Pierre Boncompain dans un de ses livres : « à Georges Borgeaud le seul volcan en activité de la confédération helvétique / Pierre ». 5 mai. Enregistrement et diffusion de « Une vie, une œuvre : C.-A. Cingria » pour France Culture.
29 juin. Voyage Paris-Calvignac.
13 juillet. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Calvignac. « Mon cher Pierrot, il est évident que je n’ai rien à voir avec ce sottisier du dictionnaire des Auteurs de Bouquins. Je suis un peu peiné que tu aies pu penser que je pouvais en être l’auteur. Bouquins ne m’a jamais rien demandé. […] Comment aurais-je pu inventer un personnage, avec nom et prénom, qui n’a jamais passé devant moi, même dans une conversation. Ch. A. lui-même n’a jamais été prolixe sur ce polonais et sa sœur. Au contraire, il me souvient qu’il s’en moquait, non pas d’une façon virulente car il avait un certain attachement envers ceux qui formaient sa famille maternelle ou orientale. En revanche, j’ai parlé de l’amitié orageuse entre Blaise Cendrars et lui, [Cingria] entre Malraux (andré), avant la guerre, quand tous deux habitaient la Butte du Sacré-Cœur. Malraux m’en a parlé lui-même un jour que Marcel Arland m’avait proposé de me rendre chez lui pour rencontrer le phénomène, le génial parleur. […] Que faire ? Je vois là un abus de signature. Il était évident que si Bouquins m’avait demandé la notice sur C.A.C., je me serais débiné en ta faveur car personne mieux que toi a visité la maison Cingria dans les coins et les recoins. Si Gallimard songeait (???) à une pleïade, tu serais le plus fabuleusement inspiré des introducteurs. » En réalité, GB est bien l’auteur des lignes ; il s’agit d’une réédition dans la collection « Bouquins » du dictionnaire Laffont-Bompiani à quoi il avait collaboré pour la première édition de 1980 (cf lettre au même du 30.12.78). 18 juillet. Lettre de Frédéric Wandelère. « As-tu pensé à quelques petits inédits pour Ecriture ? Il est grand temps. Fais-nous ce plaisir ! » 19 juillet. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Calvignac. « Mon cher Pierrot, je suis obsédé par la mauvaise action de Bouquins. […] Je suis tout à fait décidé à demander réparation à ces zozos de chez Laffont, à trouver le coupable. » 25 juillet. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Calvignac. « Quant à la photo de mes vingt ans, je pensais à celle qui avait été prise à Crans / Sierre précisément le 27 juillet 1934. Mme Bonvin directrice de l’hôtel du golf et la demi sœur de Nathalie Sarraute qui vivait à Lausanne, m’avaient offert un bouquet et l’édition originale (Adrienne Monnier) de l’Ulysse de Joyce. Je suis resplendissant sur cette photo dans cet âge fugitif, même joli garçon. » 25 juillet. Lettre de Frédéric Wandelère. « Je viens d’achever mon étude sur ton œuvre. J’espère que tu en goûteras le titre, que voici : / DÎNERS ET CACHETTES / Du regard d’autrui au retrait mélancolique / C’est donc, comme tu le sais, mon cadeau d’anniversaire, et ma façon de célébrer le 27 juillet, cher octogénaire ! » 27 juillet. 80 ans.
9 septembre. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Calvignac. « Ta lettre a mis une semaine à me parvenir. Je ne voulais pas t’en remercier avant d’avoir reçu réponse des éditions Laffont. Je t’envoie une photocopie. Recomposons ensemble cette note sur C.A.C. Ce serait pour moi l’assurance de ne commettre aucune erreur. Je ne sais pas comment le pataquès a trouvé l’ambiguïté. Je n’ai jamais collaboré au Bompiani. Je rentre dans 5 jours à Paris. » 15 septembre. Retour à Paris.
3 octobre. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Paris. « Crois bien que je ne voulais pas te piéger en suggérant que tu reprennes la notice de fond en combre sur C.A.C. La maison Laffont ne le mérite pas et c’était, en effet, une mauvaise idée. Je laisse courir et n’interviendrai[s] pas. / Tu sais mon amitié. Elle ne supporterait pas pour moi qu’il y ait entre nous même un nuage de cigarette blonde. » 10 octobre. Agenda : « 19.45 Lausanne Départ ». 14 octobre. Retour à Paris le soir.
7 novembre. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Paris. « Mon très préféré Pierrot, / Le livre de Christine [Schnidrig-Arquembourg] est d’une qualité incomparable, dépassant de beaucoup l’étude universitaire ou tout simplement objective. J’en ai été ému aux larmes et presque paralysé à en continuer la lecture, tant je me disais tout à la fois que c’était de mes écrits qu’il s’agissait, à n’en pas douter, mais je ne pouvais penser qu’ils fussent si révélateurs sur mon moi-même que je traîne depuis 80 ans, parfois volontiers, parfois avec le sentiment que j’embellis une vie, par ailleurs pleine de détresse. C’est vrai qu’en moi cette détresse n’est pas complaisante : un flocon de neige derrière mes fenêtres et voilà que tout est grâce, selon l’expression préférée de Bernanos. / Enfin, c’est à toi que je dois l’existence dans ma vie littéraire et amicale de Christine. Tu l’as décidée à me lire. Je ne l’oublierai jamais. Merci, merci ! » 24 et 25. À Cognac.
5 décembre. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Paris. « Mon cher Pierrot, je vais un peu balbutier en te disant combien ai-je été fondamentalement ému par ce texte B. avant B. [« Borgeaud avant Borgeaud », in Écriture n° 44] Tout d’abord, quel beau titre et combien justifié ! Sans ta confiance envers moi et mon éventuel talent, sans ton affection, tes délicatesses, le temps que j’ai partagé avec toi tout fut, et [mot illisible] capital. Tu as, par ton texte, réparé ce que ma mémoire avait oublié dans les faits plus qu’au fond de moi-même. Je savais que je n’avais pas de meilleur ami dans ces temps où l’ambition d’écrire ne trouvait pas encore son expression, pas de meilleur ami quand, enfin, je réussis à sortir des incapacités dont tu connais les origines psychiques. Ma vanité s’est gargarisée en te lisant, en te relisant. La plénitude de ton amitié, ce que tu as retenu de la mienne pour toi et des évènements partagés ensemble, tout cela m’a façonné et m’a peu à peu permis de croire à ma possibilité d’être un écrivain. Ta patience envers mes vagabondages de l’esprit m’a donné raison de croire que je m’en tirerai, longtemps après toi je le sais mais nous pouvons mettre ensemble aujourd’hui ta “réussite”, et la “mienne” la tienne étant plus sûre, moins capricieuse que la mienne, ce qui fait que je m’en honore, je veux dire que j’honore d’avoir été suivi si attentivement par toi. […] J’ai reçu les poils du côté de la fenêtre. Combien aurais-je aimé écrire mes souvenirs de la “mobilisation”. Tout ce que tu dis sur les imbécillités de cette vie militaire, je l’ai vécu aussi vivement que toi. Pour ma part 1250 jours en pleine jeunesse, de prises de positions devant des bourriques et des salauds parfois, […] Trois suicides au cours de périodes dont je fus témoin direct à Bulle. C’était un instituteur qui s’est tiré une balle de mousqueton dans le cantonnement. Il est presque tombé devant moi… etc… Il n’y a rien que je déteste le plus que de recevoir parfois des innocents qui viennent – je ne les reconnais jamais ! – faire signer un livre dans un magasin et qui commencent ainsi : te souviens-tu quand nous étions mobilisés à X, Y, au bataillon 1995. C’est comme si je recevais sur la tête les granges où nous couchions, les classes des écoles. Bref ! Ce livre est fait avec une franchise et une clarté admirables. Je n’aurai dorénavant que la seule ressource de renvoyer à tes poils tous ceux qui m’entreprendront sur ce beau temps de la “camaraderie”. J’oubliais toutes les cochonneries pratiquées dans les cafés des campagnes où certains énergumènes déshabillaient les bonnes, les servantes, en les couchant sur des planches ou dans la paille. Tout le [monde] riait et les officiers n’osaient pas venir empêcher ces horreurs. Pardon, me voilà éveillé à toutes ces périodes dont je n’ai jamais tout à fait oublié l’horreur. / Nous allons nous voir. Je m’en réjouis. Je pars après-demain pour Milan passerai par Fribourg et Berne. » 9 décembre. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Paris. « C’est que B. avant B. a remué en moi non seulement d’admirables souvenirs mais la densité de leurs significations. » 10 décembre. Agenda : « Milan / 13.50 h / Facultés des lettres / Université d’Etat ». Carnet : « Pour un colloque universitaire sur l’identité suisse, sujet creux dont les intellectuels universitaires ont élargi l’abîme. » 12 décembre. Agenda : « Italie / Pavie 7 h / Milan 15 h ». 13 et 14 décembre. Agenda : « Milan / Théâtre de l’Université 3 rencontres ». 15 décembre. Agenda : « Train pour Lausanne ». 16 décembre. Agenda : « Fribourg Aula ». 17 décembre. Agenda : « Paris ».