1995

Année des 81 ans, du dernier été à Calvignac.

4 mars. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Paris. « Je voudrais te remercier du fond du cœur d’avoir suivi mon parcours “médiatique” à l’Université de Berne. Ce fut un bien joli moment. Je sentais, je devinais dans mon dos l’afflux de ton amitié pour moi et cela m’a beaucoup encouragé. Ces élèves dont je commence à envier la jeunesse m’ont posé des questions savoureuses et intelligentes. Mon plaisir s’y baignait comme les oiseaux dans un trou d’eau. / Ceci encore : j’ai enfin commencé le tri de mes lettres, remontées en partie de la cave. Beaucoup ont été par moi déchirées, celles qui n’appartiennent ni à l’histoire, ni à la ferveur d’une amitié nourrie de tout ce que nous aimons. J’ai été heureux de voir ta si fidèle et si généreuse présence épistolaire. Tout d’elle mérite d’être gardé et honoré. J’en suis venu à penser que tu m’as accompagné dans toutes ces choses essentielles dont nous ne voulons pas abandonner ni la ferveur, ni la poursuite. / J’ai dans la main une dizaine de lettres de C.A.C., étonnantes certaines et d’humeur vive souvent. Elles sont amicales et griffues. Quel homme inoubliable ! Il doit en rester quelques unes dans un carton que je n’ai pas encore trié. Je t’enverrai le tout, y compris une lettre de Paulhan qui me parle avec ferveur et malice de Cingria. Pourras-tu m’en fait faire par Michaud des photocopies ? Il y a du plaisir à les relire. Ah ! ce passé presque trop long et si riche, au point que je m’en étonne, avec les occasions qui me sont données de l’approcher. / Embrasse Simone ! / A toi mon amitié, mon affection débordantes et ma reconnaissance. / Le vieux, vraiment, G. »

12 août. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Calvignac. « Mon cher Pierrot, moi aussi je me suis trouvé ici dans la cuisson de l’été, au point d’être aplati comme mon chat qu a cherché plusieurs moyens de fuir la chaleur. Depuis 5 jours, il a merveilleusement plu ce qui me fait bien craindre le paradis puisqu’on dit qu’il y fait toujours beau temps. Et quelle température nous sera imposée. Il est vrai qu’il y fera moins chaud qu’en enfer et que notre façon à réfléchir à tout cela est une gentille puérilité. / Naturellement, tes signes de si grand[e] intensité, je veux dire si amicaux, eussent mérité réponse par retour de courrier mais l’esprit lui aussi est atteint de flegme, peut être, sous le soleil et davantage de désespérance encore quand l’eau du Léman ou de la mer semble inaccessible. Je me baigne toutefois dans une vieille baignoire posée dans le pré et sous la lumière brûlante, comme pour le bétail de nos alpages. Je m’y plonge vers cinq heures tous les jours, à l’heure donc où sortent les marquises. C’est un délice mais le délice ne me poussait pas davantage à la planche aux écritures, bien que je me sois attelé, sottement, à une étude sur un peintre bernois ayant vécu à Paris, épousé femme française, étant mort il y a dix ans et fort heureusement n’étant pas un abstrait mais tout de même un peintre d’une singulière réalité. Il a nom Hans Seiler. Il est d’origine bernois[e]. Il y avait pour moi une sorte d’exercice tout à fait original, une façon de dire que nos cantons fabriquaient des talents montrables et parfois géniaux, comme Giacometti. Il est vrai cependant que pour ce dernier mon enthousiasme n’est pas sans bornes car je n’aime guère en art ce que l’on pourrait appeler des recherches obsessionnelles. Il lui reste cependant une certaine frigidité bernoise mais elle n’est pas sans mérite. Le puritanisme se glisse partout dans notre pays. […] Marius viendra ici en fin septembre pour voir où je suis dans la légende lotoise, ensuite nous mettrons en route la suite des évènements derniers. La correspondance Cingria te sera apportée à Berne. Il ne me reste que de vider des cartons de correspondance descendus ici. On m’offre le pigeonnier mais les clauses pour l’obtenir me paraissent insurmontables. Que faire ? Car il est bien entendu que j’y ai été heureux cette année, avant les canicules (juin) et toujours enchanté mais clopin-clopant. Il faut penser à ce temps qui approche de sa rupture pour enfin m’offrir les affreux et coupables loisirs d’une recherche aux plaisirs les plus simples, bien entendu pas ceux de la chair. […] Puis la Suisse où l’on me propose des refuges, ce n’est plus dans ma sensibilité, sinon dans les rêveries de l’enfance. / Enfin ceci que j’ose à peine t’avouer. Je suis invité vers le 15 septembre et durant une semaine en Roumanie, à Costanza et Bucarest par des écrivains du crû. J’ai dit oui. C’est l’enfant en moi, une fois encore, qui se réjouit de plonger sa main dans la mer noire. Pardonne-moi mes enfantillages mais tu as aussi abusé de voyages durant ta vie et je t’ai jalousé. Bon anniversaire. »

17 octobre. Soirée littéraire de la Fondation Louis Moret. Rencontre avec GB et Bernard Comment, animée par Isabelle Rüf.

Novembre. Admis à l’Hôpital Cochin après une attaque ; sa main droite en restera un peu paralysée.

7 décembre. Rencontre et signature autour de Gaston Vaudou au Musée Jenisch à Vevey : « Monsieur Georges Borgeaud et Monsieur François Daulte, directeur de la Bibliothèque des Arts, prendront la parole. » Convalescent, GB en est absent.