1998

Année des 84 ans, de la mort.

17 février. Mort de Nicolas Bouvier.

20 mars. Au Centre culturel suisse, présenté par Bernard Comment. « Rencontre entre deux écrivains », « à l’occasion du 3ème tome des Mille Feuilles (Bibliothèque des Arts) et de la parution prochaine, sous une forme remaniée et amplifiée, de ses Italiques aux éditions Verticales. »

1er mai. Lettre de Frédéric Wandelère. « J’ai toutes les peines du monde à m’arracher des Mille Feuilles III pour te dire mon plaisir. »

Juillet. En vacances à Villeneuve près de Montreux, dans un institut pour personnes âgées. Témoignage de Stéphane Rochette qui vient lui rendre visite et lui offre l’occasion de faire des promenades en voiture, notamment en Valais : « Nous montâmes un peu pour gagner un cimetière, celui de Collombey-Muraz. Il me demanda de me garer. Nous fîmes alors quelques pas au milieu des tombes et des arbres jusqu’à ce qu’il me dise : “Tu vois c’est là que je veux être enterré”. »

Août-décembre. Témoignage de Stéphane Rochette : « Les cinq derniers mois de sa vie furent douloureux. La maladie (un cancer du foie détecté moins de trois mois avant sa mort) le rongeait sans qu’il ne s’en plaigne vraiment. Il gémissait doucement comme les enfants qui aiment à se faire consoler, mais au fond en silence. »

9 novembre. Début du cahier des garde-malade : « 9/11/98 / Mr. Borgeaud a bien déj. ce midi il a mangé les haricot Vert Poulet. / 9/11/98 Soir / Mr Borgeaud a bien mangé son potage + crème aux œufs + Rillette. » 26 novembre. Cahier des garde-malade : « Mr. Borgeaud est tombé cette nuit. je lui est trouvré par terre ».

2 décembre. Anniversaire des 20 ans de la mort de Ida Gavillet, sa mère. 3 décembre. Cahier des garde-malade : « Mr Borgeaud n’a presque pas dormi cette nuit / il ne veut pas que je lui prenne la température ce matin ». 4 décembre. Cahier des garde-malade. Matin : « Assis sur son fauteuil ». 20 heures : « Mr Borgeaud semble épuisé. Ne veut pas manger, il veut dormir. » 5 décembre. Cahier des garde-malade. Matin : « Mr Borgeaud a bien dormi cette nuit et continue de dormir. […] “veut que je lui f… la paix.” / Passage des infirmières, Mr Borgeaud a du mal à réagir. » Après-midi : « Venue du médecin (médecin de garde). qui lui fait une injection de morphine pour soulager sa douleur. (mal au ventre). Deshydratation. » 6 décembre. Cahier des garde-malade. 11 h : « Mr Borgeaud recrache les médicaments que je tente de lui faire avaler. Il veut avoir la paix. » 19 h : « Hydrater, Mr Borgeault à l’aide de compresses imbibées d’eau ou à l’aide de l’eau de Vichy. »

6 décembre, 21 h. Au 59, rue Froidevaux, septième étage, mort à l’âge de 84 ans et 4 mois. Témoignage de Stéphane Rochette : « Georges Borgeaud s’est éteint à mes côtés me lançant un dernier regard aimant et suppliant. Je lui ai fermé tout doucement les yeux. J’ai téléphoné à ses deux meilleurs amis : Jeanne Privat (dont le mari, Bernard avait été son éditeur chez Grasset) ainsi que le peintre Michel Wolfender (et son épouse, Ulla). » Le chat Carlos (ou Champagne) disparaît ; on le retrouvera quelques jours après. Georges Borgeaud est mort 20 ans et 4 jours après sa mère en ayant vécu le même nombre d’années qu’elle (quatre mois en moins).

Notice nécrologique (rédigée par Georges Borgeaud en 1988) : « Les Lettres viennent de perdre un auteur sans histoire que, dès demain peut-être, un courant d’oubli réduira sa durée au feu d’une allumette dont il ne restera que le charbon. On raconte déjà que l’on ne sait pas très bien où sa dépouille a abouti. En Suisse, son pays d’origine, en France, son pays d’adoption ? À Chandolin, dans le Valais, où il avait été heureux durant un seul été ? Au cimetière d’un village du Quercy ? On ne sait jamais où les hirondelles meurent. Il avait taillé sa flûte dont il jouait dans le concert littéraire dans un roseau des marais de la mémoire d’où il tirait la substance de ses partitions et de ses thèmes parmi lesquels les plus obstinés : l’éloge de la solitude et du silence, de l’indépendance absolue, du vagabondage de l’esprit et du corps. En cela, il ressemble au merle de l’Américain Frost qui fit l’éloge du chant de l’oiseau dont le jabot ne contient que des brèves, mélancoliques et répétitives variations sur un ton mineur où l’amour, bien entendu, trouve ses notes mais aussi les accents de la peur, de la colère, de la protestation et les roulades de la moquerie et du rire. Tout cela est contenu dans le quotidien des hommes. Borgeaud a eu beaucoup de chance, vraiment, d’avoir reçu une portion de temps généreuse – on dit quatre-vingts ans. Rien ne le pressait à écrire. Pourtant, il ne fut passionné que par cela, tout au moins s’est-il obligé un peu à le dire. Ça fait bien ! Il est mort raisonnablement tard, ce qui lui a permis de pratiquer une sorte de paresse dont Ramuz disait qu’elle est une forme de la contemplation. Il n’a livré aucun message, défendu aucune doctrine, ne s’est astreint qu’à de rares disciplines dont il respectait la nécessité, particulièrement dans ses écritures et encore il ne fut pas assez sévère à ce propos. Sans grande ambition, quelques lauriers ont glissé sur son front sans qu’ils lui remontent à la tête, bien trop intimidé qu’il fut par les énigmes superbes et terribles du monde et par sa propre existence. Les fleurs qu’on lui jeta au fond du trou, réelles ou rhétoriques, ont été, avant la nuit définitive, ce que les vivants ont pu écouter sur quelqu’un dont la vanité avait disparu avec lui. » (in Jérôme Garcin (dir.), Le Dictionnaire – Littérature Française contemporaine, François Bourrin, 1988, pp. 62-63.)

8 décembre. Hommage du quotidien Le Temps par Isabelle Ruf.

10 décembre. Pose des scellés à l’appartement.


12 décembre, 10 h
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Enterrement à Collombey-Muraz, cimetière de Muraz.
Homélie prononcée par M. le Curé Bernard Dubuis.