1933
Année des 19 ans, du départ de Saint-Maurice en avril pour raisons financières, d’un séjour à Colombier (Neuchâtel), d’un séjour chez Tante Cécile (Genève) et du départ pour l’école claustrale de Lophem-lez-Bruges en Belgique où il restera six mois.
30 janvier. Lettre à sa mère. « Je suis donc rentré jeudi, un peu triste et je suis allé seulement le lendemain soir chez Monsieur Saudan pour lui parler de notre décision commune. Il s’efforcera de faire quelque chose pour moi pour que quelqu’un de ses connaissances ou le collège lui-même, payent mes 2 dernières années d’étude. Mais comme très probablement le souhait est un peu trop grand, j’ai donc commencé ma correspondance de jeune apprenti de la vie. […] Monsieur Saudan est navré que je ne puisse continuer mes études, car il comptait un peu sur moi. Mais je lui ai dit que je continuerai dans mes moments de liberté à travailler pour moi et rien ne serait impossible que je reprenne plus tard en économisant, mes études. […] Ne sois pas trop chagrinée pour moi, j’ai eu quand même du plaisir à venir à Lausanne, malgré cette tuile que je n’attendais pas du tout. »
4 février. Lettre à sa mère de Saint-Maurice. Apprend la dactylographie dans le but d’avoir un atout de plus dans sa recherche de trravail. A une proposition de travail dans une banque à Genève, mais est prêt à accepter d’autres places. Est optimiste. 8 février. Lettre à la fois dactylographiée et manuscrite (1ère lettre dactylographiée) à sa mère de Saint-Maurice. « Comment vas-tu ? Je me rappel[l]e que tu m’as dit dans ta dernière lettre que tu avais dû aller encore une fois chez le médecin ; je te plains parce que tu dois bien souffrir. Et l’oncle Paul ? Je pense aussi qu’il doit avoir beaucoup de soucis. Lorsque j’aurais trouver ma place, ce sera un souci en moins. » 20 février. Lettre à sa mère de Saint-Maurice. Fait des démarches pour trouver des emplois. « Pour en attendant si je n’ai pas trouvé après Pâques, monsieur l’abbé Glasson de Colombiers me prendra, c’est gentil, mais je crois qu’il ne sera pas nécessaire d’agir ainsi. »
Mars. Lettre à sa mère de Saint-Maurice. « Je viens de recevoir à midi ta lettre qui m’a étonné, car je ne sais ce qui peut t’avoir fait de la peine dans ma dernière lettre ! Je t’ai écrit comme toutes les fois et je ne crois pas que je t’accable de reproches comme tu me le dis dans ta réponse. J’ai très bien compris ce que tu m’as dit lorsque je suis venu à Lausanne et je ne t’ai pas fait de moue lorsque tu m’as annoncé que je devais gagner ma vie. Je comprends très bien votre situation et je sais que c’est vrai, parce que une mère [sic] ne trompe jamais son enfant, et je souhaite de toutes les manières pouvoir trouver quelque chose pour vous soulager, et acquérir ainsi ma liberté […] Non, non, tu as tord de dire que je t’accable de reproches, tu sais bien que je t’aime beaucoup, et que je ne fais pas souffrir pour le plaisir de voir souffrir ; c’est vraiment peu me connaître pour dire que je suis ingrat, mais non plus il n’est pas nécessaire pour remercier de se tenir toujours à genoux devant notre bienfaiteur et lui lècher les pieds. Ce n’est pas pour toi que je parle, mais un peu pour ma marraine, qui a prétendu que je n’étais qu’un ingrat et un sans cœur, en d’autres termes qu’elle a employés : un comédien ». 27 mars. Lettre à sa mère. « Monsieur Saudan m’a donné ou plutôt me donnera aussitôt que j’en aurai besoin une lettre de recommandation pour Martaler [écrit ailleurs Marthaler] de la librairie Payot […] J’ai écrit à ma marraine pour lui demander mes papiers […] C’est une lettre très froide du reste où elle me dit qu’elle ne peut rien faire pour moi. » 31 mars. Lettre à sa mère. « Tu sais que je t’aime, mais je ne suis guère très expansif. Alors, bonne fête. »
Avril. Quitte le collège de Saint-Maurice en laissant une dette qui ne sera réglée que quelques années plus tard et cherche du travail. Ne remettra plus les pieds dans une école comme élève. 28 avril. Lettre à sa mère de Colombier (Neuchâtel). « Hier soir, je suis rentré tard d’une promenade que Monsieur Glasson avait montée avec moi. […] C’est lui-même qui nous conduisait avec beaucoup de pompe et de bêtise, habillé d’une grande pèlerine avec un habit vert de guide montagnard et un chapeau très suisse épinglé d’edelweiss, de muguets et de gentiannes. […] Nous avons parlé de places ; j’irai voir un peu partout et je commence mes tournées aujourd’hui. » Même jour, à la même. « Je viens de téléphoner à Marthaler puisqu’il ne répondait pas. Il m’a dit que je ne pouvais pas compter sur une place chez Payot ».
4 mai. Lettre à sa mère de Colombier. « La visite a lieu ici au mois de juillet, donc je ne serai plus là. As-tu reçu mes papiers ? Aucun certificat n’est venu de monsieur Rageth, je ne sais pas ce qu’il fait d’attendre ainsi ! [ …] Je regrette toujours bien Saint Maurice et j’y pense souvent. […] Je ne sais pas jusqu’à quand je reste dans ce pays, monsieur Glasson ne me dit rien, cependant j’aimerai trouver quelque chose pour n’avoir pas besoin de vivre sur le dos des gens. » Emménage chez sa tante Cécile Moreillon, 1 rue des Charmilles à Genève, et cherche toujours du travail. 17 mai. Lettre à sa mère de Genève. « Tu sais que je me plais toujours beaucoup chez Tante Cécile ; tout le monde est si bon avec moi. »
7 juin. Lettre à sa mère de Genève. « Me voilà toujours cherchant une place ; je t’assure que je trouverai ! Dans tous les cas je vise cette place de clerc d’avocat dont je t’ai parlé et je suis sûr de l’avoir. Ta visite m’a fait plaisir, mais la présence de Germaine a empêché que je te parle plus affectueusement et surtout plus interesamment. [sic] ». 23 juin. Date de la première page du livret de service militaire, avec une visite sanitaire : « 170 cm. Périmètre du thorax : 81 cm. Périmètre du bras : 21 cm. Cou : 36 cm. 53 kg. » GB est ajourné à un an.
17 juillet. Lettre à sa mère de Genève. Une note de 698 francs est arrivée de Saint-Maurice à sa mère. GB se défend d’avoir fait des achats in considérés et fait le détail de ses dépenses. « J’ai acheter [sic] en fait de livres 2 dictionnaires / grec français / Latin français qui sont gros et chers » 27 juillet. 19 ans. Lettre à sa mère de Genève. Donne des leçons. Cherche du travail activement. « Avec ton argent j’ai profité de faire relier un bouquin qui en a besoin et auquel je tiens follement “Les œuvres complètes” de Rimbaud en un volume. / Ici toute la famille va bien et Marguerite a fait un dîner que j’aime bien en arrangeant les plats pour ma fête, du salami, des macaronis aux tomates. […] Rien de bien nouveau, je travaille pour 2 frc la leçon, ce qui fait 8 frs par mois, c’est tout ce que j’ai en attendant. »
8-17 août. Séjour à La Valsainte. 18 août. Carte du Frère Jean-Baptiste Marie Porion de La Valsainte à GB. « Cher ami et enfant, vous avez oublié votre imperméable : Mr Rabot qui s’en va demain matin vous le rapportera. – Soyez tranquille et studieux. » Rentre à Genève chez sa tante. 23 août. Lettre à sa mère. « J’ai pensé à vous le soir de cette trombe ; je craignais que vous fussiez sur le lac, et j’ai été content en n’apercevant rien de grave ni sur les journaux ni à la T.S.F., à part ce terrible naufrage sur le lac près de Genève. Le petit Noverraz était le neveu d’un chanoine de St Maurice qui s’appelle aussi Noverraz. » Le Journal de Genève du lundi 21 août 1933 rapporte ce gros orage du dimanche 20 août ainsi que le naufrage d’un yatch et la mort de deux personnes. Le même quotidien, le 23 août : « Les recherches pour retrouver le corps du jeune [Bernard] Noverraz ont repris au port de la Société nautique, mardi, dès la première heure; malheureusement l’état trouble du lac et la mauvaise visibilité n‘ont pas permis au scaphandrier de descendre dans l’eau. On s‘est borné à tendre, entre deux bateaux, une ligne semée de petits harpons, mais toutes les tentatives sont demeurées vaines. » 24 août. Carte de Paul Saudan à GB. « Tu vois mieux ce qui te manque et tes défauts si désagréables, aussi j’espère qu’avec la lumière et la grâce divine, tu vas devenir plus docile…… » 26 août. Lettre à sa mère. La vocation monastique. « … tu sais la peine que j’ai eue à quitter St Maurice parce que je ne desesperai pas d’entrer comme religieux à l’abbaye. Mais comme tu ne pouvais plus payer St Maurice, je suis parti très ennuyé. Une fois ici à Genève j’ai beaucoup réfléchi et suis convaincu que ma place n’est pas dans le monde mais dans un couvent et cela plusieurs amis prêtres le pensent avec moi. En partant de St Maurice le chanoine Monney m’avait fait comprendre et dit ouvertement que si je me sentais toujours attiré à l’abbaye que je n’avais qu’à leur écrire et que ces messieurs seraient disposés à me prendre gratuitement si j’étais sûr de ma décision. Monsieur le Chanoine Saudan est venu à Genève au mois de juillet et m’a encouragé à faire des démarches auprès de l’évêque de St Maurice. C’est ce que j’ai fait en leur écrivant une longue lettre où je leur répétais mon désir et mes idées qui n’ont pas changé. Hier soir seulement je recevais la réponse très durement sans trop d’égard et je comprends très bien les raisons des religieux de St M. pour ne pas me prendre tu dois les deviner. Mais heureusement que j’ai d’autres portes ouvertes, celle de l’abbaye bénédictine d’Hautecombe en Savoie et celle de La Source à Paris. J’ai donc écrit immédiatement à ces 2 maisons et je suis certain qu’elles m’accepteront. […] Alors si ça marche je recommencerai mes études gratuitement et dans 2 ans serais prêt à prendre l’habit monastique. Je pense que tu me laisseras libre, du moment que tu sais que cette solution est la seule pour moi et que c’est dans un couvent seulement que je serai à la meilleure place, quoiqu’il n’y aie pas de demeure pour nous ici. »
8 septembre. Carte postale du Frère Porion. « Il y a quelque chose de vrai dans l’explication que vous donnez de votre isolement. Et en ce sens je ne crains pas de vous dire : gardez votre esprit de liberté, il vous conduira à votre place éternelle. Mais aucune liberté n’est durable ni profonde sans équilibre. Or l’équilibre n’est possible que dans la contemplation, ou alors dans une activité ordonnée et patiente. Croyez-moi, c’est le simple bon sens. / Dans la main de Dieu / votre ami ». Se trouve à Genève pour le mois de septembre. Fernand Gay vient lui rendre visite. Dernière semaine de septembre, séjour à Bex chez l’abbé Heimgartener. Rend visite à ses amis les chanoines de Saint-Maurice.
5 octobre. Dédicace du livre Sartoris de Seuphor : « mseuphor / Pour Georges Borgeaud / avec mes vœux pour son système nerveux : / 1. Du calme devant le neuf mais / 2. De la fermeté pour bien articuler le cri du cœur / Genève, 5 oct. 33 ». 14 octobre. Lettre à sa mère de Genève. Annonce son départ pour le monastère Saint-André en Belgique. « Il faut que je parte pour Lophem-lez-Bruges en Belgique dans une dizaine de jours où je serai accueilli par des pères bénédictins qui tiennent une école pour études classiques dont Monseigneur Mariétan payera la pension. […] Je me réjouis beaucoup d’aller en Belgique et de voir et connaître un pays plus sympathique que la Suisse. » 15 octobre. Lettre de Frère Porion de La Valsainte à GB. « Très cher enfant et ami, / En dehors de toute tentative pour interprêter les signes des étoiles, je crois qu’il faut aller à St André, travailler, et faire loyalement l’essai de votre vocation. / Votre adaptation sera, partout, très difficile, Vous êtes très instable, et je doute que l’on puisse réussir à enfermer dans aucun flacon créé une essence comme la vôtre. Or, dans tout ordre religieux il y a quelque chose de créé, quelque chose d’humain…. / Il faut quand même essayer. / Et il faut travailler, faire usage de vos facultés : intelligence et volonté. Ainsi parlait le notaire de la famille, ou plutôt le notaire de celui qui n’a pas de famille. – Vous aimeriez mieux que je vous dise : que nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves ; que seul le réveil divin, au fond, importe ; et qu’il n’y a qu’une erreur : prendre le rêve pour la réalité. Tout cela est vrai, cela seul est vrai. / Mais —— étant donné que vous ne savez ni l’orthographe ni la comptabilité, et autres violons, que vous n’êtes taillé ni pour les affaires, ni pour la politique, et autres colonies, n’ayez point de doute si vous quittez St André, sans avoir amélioré votre culture, vous serez employé de bureau à 100 frs par mois, à vie. / Ceci ne saurait vous donner la vocation si vous ne l’avez pas. C’est seulement une invitation au travail et à la patience. / Oui, oui, je sais —— moi-même je suis humilié de ces conseils. Mais c’est comme ça. J’ai 60 ans, une panse, je suis assis à mon bureau ministre, et je parle officiellement au petit jeune homme qui a perdu 30.000 louis à la bouillotte. / Mais qu’il y ait en vous un royaume étranger à ces choses. Que les valeurs visibles soient légères dans vos mains. que la paix de Dieu seul soit le fond de votre cœur. — Quoi que vous deveniez, croyez à ma fraternelle et religieuse amitié / in Christo Jesu Domino nostro » 18 octobre. Date de l’établissement de son passeport. 22 octobre. Carte postale d’Edmond Humeau. « Mon cher ami, ce mot vous rassurera au moment de quitter Genève. Il est donc entendu que, mercredi matin [25.10], Seuphor et moi nous irons attendre à la gare de Lyon cet enfant qui craint Paris. Ne vous fâchez pas si je suis sur le quai, par hasard. Car ma femme est alitée depuis quelques jours : rien de grave, suites de paludisme, etc. Enfin, les tourments donnent toujours l’impression que l’abandon n’est pas pour aujourd’hui, et l’embourgeoisement aussi. Toujours, sans travail et c’est bientôt la fin du mois… On tâchera tout de même de faire mettre un lit-cage dans la chambre de Seuphor et de s’arranger ensemble. » 24 octobre. Date de l’établissement d’une déclaration de confirmation. Prend le train pour Paris où il arrive le 25 au matin, accueilli par Humeau et Seuphor. 26 octobre. Carte postale à sa mère de Paris. « Mes chers / Paris prend tout mon temps. Cela pour te dire que je t’écrirai une lettre depuis Bruges. Le voyage s’est fait très bien, un peu ennuyé à cause d’une famille qui s’était installée avec 2 pleurnichards d’enfants. Merci pour tout ce que tu as fait pour moi » 28 octobre. Lettre à sa mère de Lophem-lez-Bruges. Papier à en-tête : « Ecole Claustrale de St-André / Lophem-lez-Bruges ». « Puisque je t’écris tu peux penser que je suis arriver [sic] sans incidents, ni même de fatigue, un peu d’ENNUI peut être non pas de la Suisse car je n’ai pas grand amour pour elle mais à cause de tes paroles un peu dures que tu m’as dites, qui sont justes du reste, c’est l’essentiel. / Ici l’accueil a été charmant, très cordial et je t’assure que j’y trouverai ma famille. […] Il ne faut jamais craindre pour moi MA VIE saura bien devenir en restant SEUL, c’est du reste comme ça que je veux garder mon indépendance coûte que coûte. »
3 novembre. Lettre à sa mère de Lophem-lez-Bruges. « Pour les vacances de Noël je resterai ici puisqu’on le peut et que plusieurs le font. Quant aux vacances de Pâques la mère de mon ami Seuphor m’invite à Anvers pour le temps de congé. » 14 novembre. Lettre à sa mère de Lophem-lez-Bruges. « Et pense que j’ai mangé pour 5,50 fbelges (0,90 ct suisses) tout un menu excellent : bonne soupe aux légumes, 2 saucisses, pommes de terre, choux-rouges, chope de bière et pommes au dessert. […] Mais revenons à Paris qui m’enchante. Je suis évidemment allé voir les choses réputées : Notre-Dame, Tour Eiffel, grands boulevards, Champs Elysées, Trocadéro, mais j’ai surtout aimé le Paris inconnu, le Paris de mes amis, celui où l’on y crève de faim et de misère, les vieux mendiants de Vaugirard. / Je suis allé à l’ouverture de l’exposition des peintres modernes nommés surindépendants et j’y ai remporté de belles impressions. Picasso n’était pas de la bande, mais on peut aller voir à la Béotie chez Paul Rosenberg de belles collections de ses différentes époques. Nous avons assisté à une manifestation royaliste près du Luxembourg, et découvert des autocars entiers de gendarmes cachés au fond des rues et prêts à fondre sur le premier groupement un peu chahuteur. Nous sommes aussi allé dans les café snobs des artistes : / Le Dôme / Closerie des Lilas / Rotonde / mais le plaisir n’est pas très grands avec tous ces agaçants bavards bien informés. » 22 novembre. Lettre de Jean-Louis de Chastonay. « Georges, dis-moi ton beau voyage, ta rencontre avec Lui […] »
17 décembre. Lettre à sa mère de Lophem-lez-Bruges. « Voilà les vacances de Noël pour moi que je passerai ici après le départ de tous mes camarades. Je ris à la pensée que les évènements bousculent bien ma vie inattendue de surprises. L’année passée je passais mes vacances à Brigue et il y a 2 ans à La Vaux, cette année en Belgique. Je ne pourrai pas me plaindre que mon existence manqua de variétés et d’expériences. […] L’internat n’apporte pas des découvertes inconnues. C’est partout la même chose et voilà déjà 4 ans que je te bourre la tête de ces histoires monotones. » 28 décembre. Carte à sa mère de Lophem. Vue de l’Abbaye de Saint-André.