1940

Année des 26 ans, de la suite de l’apprentissage au métier de libraire, de la première mobilisation.

1er janvier. À Chandolin, avec S. Corinna Bille. 10 janvier. Lettre à sa mère de Bâle (« 206, St Alban-Ring, / chez Mme. Hess. »). « Je t’écris de mon lit, grippé. J’en ai pour 2 ou 3 jours de lit. Il n’y a pas à s’inquiéter. Mme Hess, la concierge, est d’une gentillesse extrême avec moi et me dorlote. Je ne suis pas à plaindre. » 27 janvier. Lettre à sa mère de Bâle (St Alban Ring, chez Mme Hess). « Après ma petite grippe qui a duré 6 jours, j’ai eu, pour la première fois que je suis au monde, la poussée d’un énorme furoncle à la nuque qui m’obligeait à tenir la tête haute, comme un torticolis. Chaque effort me faisait mal et je ne pouvais plus me plier. Mes nuits étaient pénibles. C’est vraiment une saleté et je comprends que tu aies souffert quand tu en as eu sur ton corps, mais, ce qui est pire, au pluriel. On – ma concierge toujours ! – m’a fait des cataplasmes et il a disparu en laissant une croute assez vilaine. […] A propos de mon service militaire, je crains bien, n’ayant pas reçu d’ordre de marche, que je ne fasse pas mon école de recrues de si tôt. »

29 février. Lettre à sa mère de Bâle. « Je sais, je n’aurai[s] pas dû rester silencieux, après la lettre de Paul, mais elle m’a fait de la peine. Je ne peux pas avoir le moindre decouragement sans que l’on craigne un coup de tête de ma part. Puis pourquoi refuser de me laver mon linge ? Avec mon salaire – je n’ai rien d’autre – cela est une gymnastique de vivre à peu près convenablement. Sans compter que je suis sous-alimenté. […] Il est probable que j’aille à Lausanne pour remplacer un mobilisé chez Payot assez prochainement, ou à Genève éventuellement. Je t’écrirai. Je ne suis pas encore appelé sous les armes. Je n’y tiens pas plus que cela. / Parle-moi de ta santé. A propos de mon clou, j’ai eu plusieurs jours des maux de tête violents et je crains bien que ce soit une suite. Tout n’a pas disparu et je sens une douleur sur la cicatrice. Je pense que je verrai reparaître cette saleté assez prochainement. »

4, 5 ou 6 mars. Première mobilisation (pour quatre semaines), école de recrues. 6 mars. Lettre à sa mère de la poste de Camp (1ère lettre de l’armée). « Samedi, dimanche et lundi [9,10,11] qui viennent seront mes jours de congé. Voici mes projets : samedi, je ne ferai que passer par Lausanne pour aller à Vevey où je dois prendre mon lit pour le prêter aux Martenet qui s’installent à Glérolles le 15. […] Je rentrerai à Glérolles pour me coucher tôt, étant passablement fatigué et surtout privé de sommeil. Le dimanche je serai toute la journée au château, attendant plus ou moins une visite de Bâle. J’ai, alors, obtenu d’avoir congé toute la journée du lundi que je passerai avec toi. […] Je profiterai, ainsi, le samedi d’aller reprendre les dernières choses que j’ai laissées à Vevey. […] Nous partons cette fois assurément, vers la fin mars, en Engadine où nous resterons 15 jours. Nous reviendrons ensuite à Oron pour être démobilisés vers le 15 avril. Je me réjouis, car je suis assez lassé de cette vie militaire. » 27 mars. Lettre à sa mère de Bâle. « … je dois me présenter lundi matin chez Payot Lausanne où je ferai un remplacement d’un mois. […] Pourrai-je coucher à la maison ? Ecris moi vite. »

Avril. Librairie Payot de Lausanne.

Mai. Librairie Payot de Vevey.

Juin. Librairie Payot de Vevey. 18 juin. Appel du Général de Gaulle à la résistance. 22 juin. Armistice entre la France et l’Allemagne.

Juillet. Librairie Payot de Vevey. 17 juillet. Lettre à sa mère de Montreux. 29 juillet. Lettre à sa mère de Vevey. « Je t’écrirai une carte de Chandolin. » [où il va certainement passer la semaine suivante] 31 juillet. Lettre à sa mère de Vevey. Dactylographiée. « Ma logeuse m’a prêté une corbeille japonaise que tu videras pour la renvoyer à l’adresse que j’ai mise sur une étiquette : Mme. Wanner 29, rue du Simplon à Vevey. […] Tu serais gentille de m’écrire une carte […] chez Mme Bille / à Chandolin »

Août. Militaire. 3 août. Deuxième mobilisation militaire (pour trois mois) à Zurich où il reçoit son équipement militaire, à Bümplitz à partir du 05.08.40, en Engadine à partir du 25.09.40 (conjecture). 6 août. Lettre à sa mère, « en campagne ». « Ça va, c’est dur, mais supportable. Seul ennui, nous ne sommes plus à Zürich ! Hier déjà on nous a déménagé à Bümplitz près de Berne. Tu viendras me voir ici. » 11 août. Lettre à sa mère, « en campagne ». « Le travail est dur. J’ai tout de même réussi en une semaine à saluer militairement. C’est pourquoi je suis libre cet après-midi. Mais nous n’avons la permission que de rester à Bümpliz. Je suis trop fatigué pour me ballader dans les rues du village ; je préfère aller me baigner dans une piscine toute proche du cantonnement. » 25 août. Lettre à sa mère. « Je travaille dans les petits canons de la fabrique Oerlikm et Waffenfabrik : 20 millimètre. Il faut préparer les pièces pour le tir et pour la route en 27 secondes. Je suis encore un peu maladroit et me fais engueuler assez souvent. C’est évidemment très pénible. »

Début septembre. Lettre à sa mère, « en campagne ». « Nous commençons depuis quelques jours une vie d’enfer, sans aucune liberté, harcelés, punis constamment, épuisés par des commandements. Dans ces moments, il ne faudrait pas nous toucher tellement nos corps réagiraient désagréablement. Nous jugeons tous très mal ce service militaire et c’est un peu de la faute des officiers Suisses Allemands qui nous mènent comme des Prussiens. […] Mon grand congé aura lieu le 21 et le 22 septembre. Je viendrai à Lausanne, naturellement : Dormir et me baigner. J’ai reçu plusieurs paquets des Bille et des collègues de Payot Vevey et Montreux. » 9 septembre. Lettre à sa mère, « en campagne ». « Chère Maman, / Très pris cette semaine par les piqûres et aujourd’hui par des corvées, je n’ai juste le temps que de te dire que nous avons le grand congé samedi, dimanche et lundi prochain [14, 15, 16 septembre]. J’arriverai donc à Lausanne samedi matin [14 septembre]. Pourrai-je dormir les deux nuits à Lausanne ? Nous parlerons de vive-voix de la question de mon linge. / Si un contre-ordre venait, je t’écrirai à temps ou te téléphonerai. / Amitiés à Paul. / Je t’embrasse bien fort et te remercie pour l’important envoi de linge qui m’a tout de suite servi. / Georges. » 11 septembre. Tirs d’examen. 14 septembre. Lettre de Frère Porion. « Je connais bien les labeurs auxquels vous êtes astreint, car j’ai milité moi-même des années et des années. Mais je ne crois pas que ce soit du temps perdu. — L’essentiel est évidemment de retrouver son enfance et de regarder le monde avec des yeux neufs : alors les choses nous révèlent leur visage édénique ; — il me semble qu’un tel regard nous est accordé parfois lorsque nous sortons de nos pires cauchemars, de nos heures les plus dures. On se fait bien du tort en voulant choisir parmi les présents du destin. Il faut tout accueillir sans distraction ni réserve, que le cœur devienne comme le ciel : c’est sa vraie figure, transparente et précise, illimitée et légère. / Que Dieu vous garde ! / votre / Frere JBaptiste M. Porion / “Il y a tout de même encore tant de beauté”, ce mot de votre billet me touche et me semble la conclusion de tout ce qui est arrivé. / J’espère que vous retrouverez votre place dès que la Suisse démobilisera ? » 19 septembre. Tirs de concours. 21 septembre. Livret de tir : 5ème sur 86 tireurs ; « Autorisé à porter l’insigne de bon tireur ». 23 septembre. Lettre à sa mère, « en campagne ». « … j’ai gagné le galon de bon tireur et […] je suis le cinquième de la batterie sur 93. Cela m’a valu des félicitations des officiers et quelques petites faveurs. / Demain mercredi nous allons préparer notre départ en Engadine qui aura lieu jeudi matin. Nous ferons la route à moitié en camion, à moitié en train et par étapes. Le premier soir nous coucherons à Davos, ensuite nous irons à Scanfs. […] Je t’embrasse et te remercie pour les bons jours que tu m’as fait passer à Lausanne. Nous avions tous le cafard. » 28 septembre. Lettre à sa mère. « Ma chère Maman, / J’ai reçu ce soir cette mention honorable que je t’envoie de suite avec un galon de bon tireur que je porterai à ma manche. / Demain nous allons faire une course admirable jusqu’à Campo Collogno par Pontresina, Poschiavo dans le train de la Bernina. C’est une joie folle pour tous ! Le train nous coûtera 3 frs. / J’ai reçu ce soir les deux sacs à linge. Je suis heureux de mettre le pullover rouge car il fait froid. / Le pays est admirable, aussi beau que le Valais, peut être même plus beau, surtout dans l’architecture des villages. Malgré la discipline militaire et certains ennuis, nous sommes enthousiasmés. / Davos par contre m’a fortement déçu. Je crois que son succès est surfait. Ce qui est laid là-bas ce sont les hôtels géants d’une architecture plus que douteuse. […] Du reste dans 5 semaines tout est terminé. / Lundi prochain nous allons tirer aux canons 75 cm. contre un sac attaché derrière un avion. J’espère avoir la mention de bon pointeur. »

Octobre. Militaire. 14 octobre. Lettre à sa mère. « … j’ai été de garde, la nuit, aux positions det dimanche dernier près des lacs de St Moritz, de Silvaplana. […] je reste très peu enthousiaste de la vie militaire. » 20 octobre. Lettre à sa mère, « en campagne ». « Nous quittons ce lundi, donc après demain, l’Engadine par l’Albula. Nous retournons à Bümpliz et le 2 novembre nous serons démobilisés le matin. Je viendrai le plus tôt possible à Lausanne et me réjouis de retrouver mes habits civils. 10 jours après nous serons à nouveau mobilisés, au Simplon cette fois. La chose nous a été à peu près confirmée. Je ne pense pas faire une école de sous-officier, du moins pas pour le moment. […] Dimanche dernier je suis allé à Sils-Maria. Hier nous avons été conduits à la Maloja. » 29 octobre. Une lettre d’Edmond Bille à S. Corinna Bille et sa famille (publiée dans la Correspondance 1923-1958 – S. Corinna Bille / Edmond et Catherine Bille, établie et annotée par Gabrielle Moix, Cossonay, éditions Plaisir de lire, 1995), évoquant des « règlements de compte “en famille” », est annotée par l’éditrice de la façon suivante : « Ed. Bille fait sans doute allusions aux divergences de vues concernant la personne de Georges Borgeaud que Corinna connaissait depuis 1938. Ed. Bille refusa de lui accorder la main de sa fille. » Pour Gilbert Favre, cette crise a lieu en 1941 et aboutit au déménagement de Corinna à Lausanne, d’où elle ira plus souvent rentre visite à GB qui se sera installé au château de Glérolles, au bord du Léman ; ces “visites” plus nombreuses, le plus probablement à la fin de l’année 1941, auront une conséquence douloureuse : un avortement de Corinna en janvier 1942 (rapporté par Bertil Galland dans Princes des marges et confirmé par des allusions du Vrai conte de ma vie). 30 octobre. Lettre à Gustave Roud de Berne. Conservée au CRLR. « Avez-vous une fois développé le film où nous étions Maurice Ch., Simond et moi devant la porte de votre maison à Carrouge ? »

Novembre. Librairie Payot de Genève. 22 novembre. Lettre à sa mère de Genève. « Ma chère Maman, / J’espérais tous les jours ta visite, à Genève. Tante Cécile me disait que tu viendrais bientôt. Aussi ne t’ai-je pas écrit plus tôt. Aurais-tu encore des misères avec tes dents ou ta sinusite ? / Quant à moi, je pars de Genève vendredi prochain 29 novembre et aurai congé jusqu’à lundi 2 décembre. Le soir même de ce jour là, j’irai à Bâle pour tout le mois de décembre. Ça ne m’amuse guère. / Je serai donc à la maison vendredi prochain. / Je vois quelques fois tante Cécile que j’amuse un peu. Quand je me sens affamé, je monte chez elle manger ses excellentes soupes. / Marguerite m’a dit que mes mouchoirs se trouvaient dans ma valise. Je les ai, en effet, retrouvés. Merci. / Je t’embrasse et à bientôt / Georges / Amitiés à Paul. »

Décembre. Librairie Payot de Bâle. 10 décembre. Lettre dactylographiée à sa mère, de Bâle. « Voilà une semaine que je suis à Bâle ! J’ai eu de la peine à trouver, les premiers jours, une chambre pas trop coûteuse. […] J’ai regretté de ne pas te rencontrer à Lausanne samedi et lundi avant de venir ici. […] J’ai couché chez Simond ces deux nuits et me suis embarqué le lundi après-midi pour Bâle. […] J’ai eu des ennuis parce que l’illustration de Noël 1939 que tu m’avais demandée n’était pas payée. […] Ce qui est embêtant, c’est qu’il a fallu expliquer a Payot qui étaient ces Gavillet. Ces demoiselles de Bâle, lui avaient dit que c’était ma mère etc… Assurément tout cela sera oublié. / Je pense que tu vas croire que je ne t’écris que pour te réclamer quelque chose. Cependant, j’aurai bien aimer te voir à Lausanne pour prendre chez toi une blouse blanche, mon livret de service, un ou deux caleçons, un pyjama et mon pullover vert que Melle. Bille m’avait tricoté. […] J’ai loué pour le mois de janvier déjà, une chambre au château de Glérolles, chez un ami qui veut bien me la céder à 15 frs. par mois. Je m’y installerai dès le 1er. janvier avant d’aller au service militaire. Je pourrai donc te libérer enfin de tout ce que j’ai déposé chez toi, y compris les livres. » 13 décembre. Lettre à sa mère de Bâle. 23 décembre. Lettre à sa mère de Bâle. « Pour Noël, j’irai à Berne, chez les Secrétan où je suis invité. » 31 décembre. Déménagement de Bâle et première nuit au château de Glérolles, commune de Saint-Saphorin (canton de Vaud), sur la rive du lac Léman. Glérolles est l’ancien nom de Saint-Saphorin. Borgeaud y fera là connaissance de Steven-Paul Robert, le peintre, et de Louis Germond. Louis Germond, instituteur, habite le Château depuis cette même année 1939 (et jusqu’à la fin de sa vie). En 1996 il publiera une monographie sur le Château où il évoquera le passage de Borgeaud (Château de Glérolles, Yens sur Morges, éditions Cabédita, 1996, pp. 93-97).