1941

Année des 27 ans, de l’emménagement au château de Glérolles, de la suite de l’apprentissage au métier de libraire et de la mobilisation, de quelques jours et quelques nuits partagés avec S. Corinna Bille au château.

1er janvier. Premier jour au château de Glérolles. Toujours militaire. Congé le week-end du 18 au 20. 27 janvier. Lettre à Gustave Roud. Conservée au CRLR. «  Je suis tout proche de vous et hier, j’ai pu deviner, de Chesalles-sur-Oron, le toit de votre maison de Carrouge. »

Février. Militaire. 6 février. Lettre à Gustave Roud. Conservée au CRLR. 27 février. Lettre à sa mère, en campagne. «  Nous n’irons pas en Engadine mais à Montana, ce qui me plaît davantage étant dans un pays d’amis et pas trop loin de Rivaz. […] A part cela, la même vie monotone. Nous n’avons pas encore eu l’occasion de tirer sur les Anglais et nos canons nous paraissent de plus en plus encombrants et inutiles. »

Mars. Toujours mobilisé. 6 mars. Lettre à sa mère. «  Ma chère Maman, Samedi, dimanche et lundi qui viennent seront mes jours de congé. Voici mes projets : samedi, je ne ferai que passer par Lausanne pour aller à Vevey où je dois prendre mon lit pour le prêter aux Martenet [dont Anne-Marie Martenet, sœur de S. Corinna Bille] qui s’installent à Glérolles le 15. Il me faudra bien l’après-midi pour trouver mon monde et faire cette expédition en toute tranquillité. Je rentrerai à Glérolles le soir pour me coucher tôt, étant passablement fatigué et surtout privé de sommeil. Le dimanche je serai toute la journée au château, attendant plus ou moins une visite de Bâle. J’ai alors, obtenu d’avoir congé toute la journée du lundi que je passerai avec toi. Je viendrai le matin à Lausanne, passerai chez mes patrons et nous irons, ensemble, l’après midi voir Pinocchio ou un autre film, si tu as déjà vu celui-là. Je prends le train vers les 9 heures. Tu vois que j’aurai bien le temps de te voir. / Je profiterai, ainsi, le samedi d’aller reprendre les dernières choses que j’ai laissées à Vevey. / Je te propose même de venir me voir le dimanche s’il fait beau. Peut être aurai-je le temps de passer dire bonjour le samedi entre deux trains. / Nous partons cette fois assurément, vers la fin mars, en Engadine où nous resterons 15 jours. Nous reviendrons ensuite à Oron pour être démobilisés vers le 15 avril. Je me réjouis, car je suis assez lassé de cette vie militaire. / Donne-moi des nouvelles de toi. / Je t’embrasse / Georges / Bonnes salutations à Paul. » 17 mars. Lettre à sa mère. «  J’ai dû descendre, avec plaisir d’ailleurs, à Glérolles, hier dimanche, pour retrouver le sac brun que tu m’avais prêté. […] Nous y partons [pour l’Engadine] le 30 de ce mois, 15 jours. / Sais-tu que j’ai passé d’excellents moments avec toi lundi dernier et tu m’as bien gâté aux repas. Puis je suis content d’avoir vu Pinocchio avec toi. C’est un des beaux films vus cette année, n’est-ce pas ! / Cette semaine est pour moi, la semaine la plus pénible où nous [n’]avons presque pas de liberté. Semaines de garde et d’alarme. Je t’écrirai peu, mais samedi je t’enverrai un long mot. Peut-être que dimanche prochain je serai à Glérolles ! Je t’écrirai encore pour te dire si cela est sûr. Si c’était oui, ce serait gentil que tu viennes y passer l’après-midi. Hier, j’ai planté quelques tournesols sur le bout de terrain prêté par Mr Germond. J’aime beaucoup ces plantes. / Tu auras lu, je pense, l’incendie qui a atteind la ferme des Menétrey. Il s’agit donc bien des fils de Coppoz, n’est-ce pas ? J’étais tenté de leur écrire mais ils ne se souviendront plus de moi. […] Je t’embrasse et te remercie encore beaucoup pour lundi dernier. » Même jour. Lettre à Gustave Roud. Conservée au CRLR. «  Mais je ne regrette pas encore d’avoir choisi Glérolles. C’est admirable ! / J’ai bêché un petit morceau de plate-bande pour y semer 2 ou 3 tournesols. » 25 mars. Lettre à sa mère. «  Je t’ai plus ou moins attendue à Glérolles dimanche après-midi [23.03]. J’avais pu descendre à la dernière minute en vélo depuis Oron. Le soir, je suis remonté à Puidoux prendre mon train de 21.14 heures en faisant enregistrer ma bicyclette. / Voici notre dernière semaine à Oron ! Dimanche prochain, nous partirons pour l’Engadine jusqu’au 13, jour de Pâques. Nous voyagerons même ce jour là. Nous reviendrons à Bulle alors pour le rétablissement et pour préparer notre démobilisation qui aura lieu le 21 avril. A ce moment, je descendrai à Glérolles et prendrai quelques jours de repos pour aller en mai à Bâle selon la proposition Payot. J’aurai ainsi quelques jours pour aller prendre à Lausanne tout ce qui me reste de livres que je veux soigner un peu en les mettant sur des rayons. / Corinna Bille viendra m’aider ces jours là à mettre un peu d’ordre dans ma chambre. / Figure-toi que dimanche dernier je suis descendu à Rivaz avec le Sergent-Major de mon unité avec qui, et 2 camarades, j’ai pique-niqué en faisant une bonne salade d’œufs et de dents de lion. Je les avais averti[s] un peu de ta visite. Manon Bosshard, la fille du peintre, nous avait rejoints. / De Bâle, j’ai reçu d’assez mauvaises nouvelles des vieilles filles de chez P[ayot]. Elles ont reçu, les pauvres, leur congé pour la fin mai. Elles m’ont, toutes les deux, écrit une lettre désespérée : françaises, avec une mère et une sœur à entretenir et sans la moindre économie. C’est assez dramatique pour elles, mais le magasin y gagnera. Nous déménagerons le 1er mai à la rue Franche, la plus importante de Bâle. » 27 mars. Lettre à Gustave Roud. Conservée au CRLR.

Avril. Militaire. 8 avril. Lettre à sa mère. «  … nous venons d’apprendre une excellente nouvelle : nous partons de Scanfs vendredi-saint [11.04] au matin et depuis Zürich nous pourrons continuer le voyage individuellement jusqu’à la maison. Notre congé de Pâques durera jusqu’au lundi de Pâques à midi [14.04], comme d’habitude. Nous commencerons donc, après, la dernière semaine de cette relève, à moins que notre ciel soit à nouveau survoler intensivement. Cette après-midi a passé sur nous, mais côtoyant la frontière italienne 18 bombardiers dont, malgré le télémètre, nous n’avons pu bien voir la nationalité. D’après la majorité des avis, ils devaient être allemands. Mais ils devaient bien voler à 4000 mètres d’altitude. / A vendredi donc, dans l’après-midi, vers le soir. Je passerai la soirée avec toi et n’irai que le samedi à Glérolles. » 17 avril. Lettre à sa mère. «  Une grande nouvelle ! Je serai démobilisé mardi prochain, le matin [22.04]. Je pense arriver à Lausanne vers onze heures du matin et passer chez toi avant de continuer sur Rivaz [au château de Glérolles]. / Demain nous serons à Bulle et les jours qui restent aussi. Ce sera d’ailleurs assez fatiguant. / A bientôt donc ! / Georges / P.S. Encore ceci. J’essaie d’obtenir du beurre pour toi. C’est assez difficile parceque nous partons et que le prétexte d’en avoir besoin pour la cuisine des officiers n’est pas très plausible. Le laitier se méfie. / Mais j’essayerai toutefois de réussir. / G. » 21 avril. Lettre de Frère Porion. «  Mon cher Bonhomme, / Voici les traductions en question. Vous me ferez plaisir en me les renvoyant, après les avoir plus ou moins lues, car je ne puis me les re-procurer. / Je ne comprends pas ce qui vous a chagriné dans le fait que je vous ai trouvé endormi : vous étiez très sage. Le sommeil, dit l’autre, est un sacrement naturel. Une très belle grâce. / Je vous ai trouvé un peu mûri, un peu moins en marge de tout. Mais je ne serais rassuré sur vous que lorsque je vous aurai vu travailler avec un peu de suite à quelque chose. Par exemple si vous appreniez l’allemand comme il faut, ce serait pour moi une preuve que vous n’êtes pas inapte à la vie. / Soyez sincère toujours, écoutez avec patience les voix du réel jusqu’à ce que leur unanimité vous soit manifeste. – Que Dieu vous garde ! / Votre / JBapt. M. Porion » 22 avril. Démobilisé. 24 avril. Se trouve à Glérolles.

Mai. Librairie Payot de Bâle et Berne. 10 mai. Lettre à Gustave Roud de Bâle. Conservée au CRLR. «  Depuis 10 jours, j’ai retrouvé Bâle : un déménagement chez Payot. A nouveau donc dans la poussière et les quintaux de livres ! / Je soupire après Glérolles que j’aime tout à fait à présent. » Fin du mois. Librairie Payot de Lausanne.

Juin. Librairie Payot de Vevey. 27 juin. Lettre à Gustave Roud de Rivaz (château de Glérolles). Conservée au CRLR.

10 juillet. Mobilisé.

Août. Mobilisé encore.

Septembre. Toujours militaire. 23 septembre. Lettre à Gustave Roud. Conservée au CRLR. «  Mon très cher Ami, / Depuis juillet, je n’ai pas quitté le Haut-Valais, un village de la vallée de Conches, où nous sommes cantonnés, plus mal qu’à Oron pour le “confort”, mais mieux qu’à Oron pour tout le reste. Le pays (où je vous verrai[s] mal !), est bien moins sévère que celui de la Broye, bien que fermé de toutes parts par des montagnes sans épaisseur. Ce n’est d’ailleurs pas elles que je vois, mais les prés qui déjà jaunissent, toutes les belles eaux dispersées – et la nuit, les hommes qui, avec des falots, viennent ouvrir ou fermer les bisses, leurs lampes comme des signes qu’ils nous font, qu’ils font à ma solitude lorsque je suis de garde, au milieu de la nuit ! – A présent, ce pays devient parfois trop doux, comme un fruit trop mûr. Jamais je n’ai pu regarder si attentivement comme l’été doucement prend sa place. Il n’y a aucune fièvre, pas comme au printemps. Seules des taches de colchiques, un peu comme des crocus, mais la confusion ne dure pas. / Moi, je suis horriblement las, fatigué et parfois hargneux. J’ai trop de peine à cette vie de soldat et l’énergie me manque pour la subir tant elle devient insipide, inutile. / Votre lettre que j’ai trouvée à Glérolles m’a fait une joie extrême, mais, voyez, je ne sais pas y répondre. Cette lettre est stupide. Je ne sais plus ce que c’est que le silence et je n’ai plus qu’un désir, celui de mettre enfin autour de moi les murs de Glérolles. / Oui, j’ai fait la connaissance mais bien mal encore, parce que pas très digne, de Steven-Paul Robert. Je sais qu’il aime Glérolles et que l’exil de Paris lui pèse moins. / Je suis au service jusqu’au début novembre. Ecrivez-moi une fois, au moins. / Avec toute mon estime et affection / Gborgeaud »

Octobre. Selon Gilberte Favre : «  L’amitié qui lie Corinna à “Queue de chat bleu” gagne en tendresse. En 1941, Corinna n’est pas encore divorcée. Vital Geymond [son mari] est mobilisé. C’est la guerre. Georges Borgeaud demande à Edmond Bille la main de sa fille. Mais le peintre répond non. Il objecte que le jeune homme n’a aucune situation. Sur ce refus, Corinna quitte le Paradou [la maison familiale en Valais] pour suivre Borgeaud à Lausanne où, entre-temps, il a obtenu un emploi de libraire chez Payot. Elle loue d’abord une chambre à la rue Tivoli ». 10 octobre. Lettre de Frère Porion. «  Mon cher Georges, / Je vous renverrai ces jours-ci, à Glérolles, les volumes que vous m’avez prêtés. […] De Supervielle je connaissais déjà le Forçat innocent : c’est un peu grèle, un peu fade à la longue. / Enfin Michaux : La Nuit remue, est celui qui m’a le plus intéressé. On voit ici que la puissance de l’imagination n’est pas séparable de celle de l’intellect. L’esprit, en se laissant rouler ainsi sur toutes les pentes, sur les chemins vertigineux à chaque instant[…] ouverts pour lui de tous côtés, manifeste de façon saisissante, je trouve, cette carence de nature propre, qui est justement son essence. – A vrai dire, après Rimbaud et Lautréamont, une telle ouverture poétique est un peu du tourisme. Néanmoins je comprends maintenant la lettre que Maritain m’écrivit en m’envoyant Michaux : il sentait le divin tout proche sous ce voile capricieux. / Pour vous, cher ami, pardonnez-moi si je radote mes conseils comme un vieil oncle, mais je veux vous répéter celui de travailler avec obstination dans une ligne définie, même si vous ne voyez rien au bout. – Je n’ai pas tant d’inquiétude pour vous que vous-même en exprimez dans votre lettre du 18 sept[emb]re. Chacun se connaît si peu ! L’esprit en nous est beaucoup plus fort que le destin : gardez seulement votre sincérité et la patience de votre cœur, la vie se déchiffrera d’elle-même. / Tout est leçon et nourriture, tout nous oriente et nous mûrit si nous gardons intérieurement douceur et transparence. / Que Dieu vous garde ! / Merci encore. / votre / Frère Jean-Baptiste M. Porion / ord. carth. »

Novembre. Toujours mobilisé. Selon S. Corinna Bille, c’est pendant ce mois que GB lui montre une photo de son ami Maurice Chappaz et qu’elle en tombe amoureuse. 19 novembre. Selon la lettre n° 152 de la Correspondance publiée (op. cit.), S. Corinna Bille habite à présent Lausanne.

Décembre. Démobilisé, travaille à la librairie Payot de Genève. 9 décembre. Parution, dans Les Petites Feuilles de Géa Augsbourg et Charles-Albert Cingria, de la nouvelle «  Donnez-moi un peu à boire » de S. Corinna Bille et conférence de cette dernière intitulée «  Les Cailloux » à Saint-Saphorin dans le cadre des causeries de «  La Chambre Haute », à l’Auberge de l’Onde, organisées par la revue Formes et Couleurs et Paul Budry. Saint-Saphorin est à quelques minutes du château de Glérolles. GB y louera plus tard une chambre. L’Auberge de l’Onde devient un lieu de rencontres culturelles important ; Cingria, notamment, y est très présent. 15 décembre. Lettre à sa mère de Rivaz, château de Glérolles. «  Je suis si heureux que tu connaisses Fifon [Corinna] ! Nous avons eu, l’un et l’autre, un grand plaisir à passer avec toi, avec O. Paul, la soirée. Merci. / Je t’embrasse / G. / Tu me parleras de tes impressions sur Fifon. » 20-24 décembre. Travaille à la librarie Payot de Lausanne.