1945

Année des 31 ans, de la suite du travail à la “Librairie Française” de Zurich, de la fin de la vie militaire, de la mort de Paul Gavillet son beau-père (“Oncle Paul”), des décisions sérieuses d’émigrer à Paris et des prises de contact à cet effet.

8 janvier. Départ de Zurich pour le service militaire à Bulle. Se foule le pied, est libéré et rentre à Saint-Saphorin. 18 janvier. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Saint-Saphorin. Projets et évocations de possibilités d’éditions. « Il me faut une maladie, un accident (malgré que tout cela soit un signe de vieillissement !) pour trouver de bonnes heures pour écrire aux amis. C’est ce qui vient de m’arriver ! Je me suis foulé un pied en partant de Zürich pour le service militaire et le premier-lt. médecin m’a libéré, pour 10 jours, le matin même de l’entrée au service. / Je suis redescendu de Bulle à St Saphorin un peu inquiet et boîteux. Inquiet et boîteux parce que j’avais pas de bois et que le froid est tenace tout ce temps. J’en ai trouvé. Il m’a fallu trois jours pour chauffer les murs de la maison abandonnée trois longs mois. […] Mon unité est mobilisée près de Laufen. Je ne manquerai pas, de là, de venir jusqu’à Porrentruy. J’y serai depuis le dimanche 21, donc dans trois jours. » 21 janvier. Repas de midi avec sa mère puis nouvelle mobilisation. 22 janvier. Lettre à sa mère. « … je t’écris à la lueur d’une lampe acétylène qui pue. […] Qu’on ne me fasse pas l’éloge du confort, de la propreté suisses. Sous prétexte d’éduquer le soldat à une vie dure, on le traite comme un prisonnier et cela après 5 ans de guerre. Enfin ! / Merci encore pour le bon dîner de dimanche. Je ne pense pas avoir un congé avant février. »

1er février. Lettre à Yoki. « Il faudrait t’expliquer pourquoi je ne suis pas venu ce fameux soir à Romont. J’étais terriblement triste pour bien des raisons et cette tristesse n’était peut être que le total de vieilles fatigues Je ne voulais pas me montrer dans cet état à Romont. / Il faudrait ajouter que je me suis mis à douter de ton amitié. Il me semble que je t’ai à peine retrouver le jour de la noce de Michel. Dans toute cette petite foule il n’y avait que toi qui m’interessait et le bonheur de Michel et de Suzanne. / J’aurais aimé resté [sic] à Romont le lendemain et cet écart de deux jours m’a laissé à moi-même et c’est là que j’ai ruminé ce relâchement de ton amitié. C’était atroce cette dépression et probablement imaginaire (ta dernière lettre me fait comprendre que j’ai imaginé toute cette histoire !) Voilà où j’en suis. / Tu auras su que je suis parti le 8 janvier pour le service militaire et que je me suis foulé un genou que j’ai soigné dix jours à St Saphorin, dans le froid glacial de ma petite maison, mais heureux. J’ai écrit une nouvelle étrange pendant ces dix jours dont je ne suis pas mécontent. Mais je suis surpris de la tristesse des choses que j’écris, une tristesse pas du tout violente, réaliste, cafardeuse, mais un peu celle de la fête étrange du grand Meaulnes. Il y a aussi en moi un personnage maladroit, deguingandé .. gauche. Tu te souviens de ce chapitre du grand Meaulnes qui commence par le cri de “ou – ou !” de Franz qui vient rompre un bonheur déjà si fragile, si douloureux. Il me semble donc avoir un pacte aussi qui me lie à quoi ? et qui peut tout briser. Mais c’est stupide ce que je te dis là. […] Dis toi bien que cette lettre est Stupide. Je t’écris dans le bruit. Il y a un camarade qui a trop bu et qui gueule ses idées fixes. » 2 février. Lettre à Pierre-Olivier Walzer, en campagne. « C’est magnifique chez vous ! Luxueux et simple et c’est bien ainsi. Nos cœurs, nos âmes sont ainsi et vous vivez très bien de l’un et de l’autre. […] J’ai été bien content aussi de savoir que nous m’avez disputé à la famille Walzer ; c’est un signe de votre attachement. » 6 février. Lettre à sa mère : « Je suis bien tranquillisé par les nouvelles que tu me donnes de la maladie de Paul. Il a bien de la malchance. Peut être se fatigue-t-il trop à son travail. / J’écris, au même courrier, à Betty – J’ai bien connu sa mère qui ne manquait pas de caractère. Ce sera un deuil pour les von Allmen qui avaient l’habitude de la voir arriver le soir leur faire un brin de causette ou de reproches anodins. […] Il doit y avoir, cette après-midi, un début d’offensive du côté français. L’artillerie n’arrête pas une seconde et fait trembler les vitres. Mais aucun avion ne dépasse la frontière et si cela arrive, c’est pour quelques secondes. / Les Allemands doivent se sentir dans un terrible étau ! / — / Quant à nous, nous continuons notre vie stupide, toujours plus stupide et ennuyeuse. Tu croyais que nous ne faisions pas de manœuvres, mais après-demain jeudi nous déménageons près de Bâle à Gempen. C’est de mauvais jours en perspective. La boue est tel[le], depuis le dégel, que nous en sommes encrassés jusqu’aux oreilles. Mais il semble que cela excite encore davantage le petit chapelet d’officiers qui nous commandent. Même les généraux et les petits grades font la guerre comme nous la faisions à l’école. Plus on rentre sale, plus la chose est sérieuse. C’est d’un comique dont je commence à me lasser après 5 ans de mobilisation. Il paraît que nous en avons jusqu’au 13 mars, mais que nous recommencerions en juin, mais d’ici là je souhaite bien que la guerre soit terminée, ce qui est probable. 7 février. Lettre à sa mère. « A la hâte, ce petit mot pour t’annoncer que j’ai été chargé avec 4 camarades d’une mission d’observation à l’extrême frontière, c’est à dire à St Chrischna près Bâle, enclave suisse sur le territoire allemand, de l’autre côté du Rhin. / Nous sommes, avec des hommes d’autres compagnies, une vingtaine d’hommes. Nous dormons dans des lits et dans un dortoir. Et notre pension nous est donnée par les missionnaires qui tiennent tout le bled. Nous mangeons avec les “frères” et nous prions et nous chantons des cantiques. C’est à mourir de rire et c’est une mission étonnante que nous avons là. Je ne sais combien de temps elle durera. Nous surveillons les tirs d’artillerie, les combats aériens. / A la hâte, mais je voulais que tu saches où je suis. / Je t’embrasse Georges / Amitiés à Paul » 13 février. Lettre à sa mère. « L’autre jour, j’ai un peu trop vite clamé mon bonheur ! Deux jours et demi après notre installation à ce poste d’observation à St Chrischna près Bâle, nous avons reçu l’ordre de refaire nos paquetages et de rejoindre la troupe, installé[s] à présent à Hochwald près de Sempen. […] Toute mon énergie et ma patience sont usées devant tant de stupidité. Et le temps est immensément long. J’éspère que j’aurai[…] un congé vers le 19-20-21 février. Je passerai à Lausanne, J’ai une telle envie de manger à une table, en face d’une assiette et de gens civilisés, ainsi qu’une envie de musique, de cinéma, d’amitié. Nous vivons trop brutalement. / Ce que j’ai vu à mon poste d’observation m’a frappé pour longtemps. Je vous raconterai tout cela de vive-voix. Il y a des activités intéressantes au service, mais justement ce n’est pas à celles-là qu’on vous met. » 24 février. Carte postale à sa mère. « Vendredi, à midi, l’ordre de disloquer est arrivé d’urgence à la batterie. Depuis le bombardement de jeudi sur la Suisse (Stein-a-Rhein-Noederdorf !) la DCA a été entièrement ramenée tout au bord du Rhin. Sans fermer l’œil pendant 48 heures, nous sommes venus nous installer à Laufenburg, au bord du Rhin. En face, à 100 mètres, l’Allemagne est là. On voit la Volksturm construire des abris, des tranchées, des positions de DCA peut être. »

3 mars. Lettre à Pierre-Olivier Walzer. « Je suis démobilisé le 13 mars, c’est à dire que dimanche 11 mars, je serai libre dans le rayon de Bulle. Je monterai ce jour là à la chartreuse, voir mon père [le frère Porion ?]. […] Le mardi après, je rentre à St Saphorin et de là je monterai à Chexbres voir mon anglais. […] D’après ta lettre, Buchet partirait de la LUF. Explique-moi cela. A moins qu’il aille à Paris ! » 7 mars. Lettre sa mère. « Nous sommes démobilisés le mardi 13 mars. […] J’ai écrit à Melle Daval pour la remercier de la photo. / L’article sur cet enfant martyr m’a révolté. Je l’ai lu à plusieurs camarades. » 13 mars. Démobilisé définitivement. 17 mars. Carte postale à sa mère de Zurich. « Je cherche une chambre à Zürich. C’est extrêmement difficile. »

24 avril. Lettre à sa mère de Zurich. « Je te dirai encore si je viens à St Saphorin samedi. / Amitiés à Paul qui ne doit pas trop se fatiguer. » 25 avril. Lettre dactylographiée à sa mère. « Oui, mon voyage se dessine ! La Sté. littéraire romande de Winterthur me paie le voyage pour aller chercher de la documentation qui me servira à ma conférence du 8 mai, sur la littérature clandestine en France. / Ainsi, j’ai décidé que je viendrai à Lausanne le week-end, c’est à dire que j’arriverai à Lausanne le dimanche soir à 10 1/2. »

3 mai. Lettre à Yoki de Zurich. « Deux lettres de toi que je porte sur moi chaque jour, dont je sais toute l’amitié et toute la confiance ! Et je ne réponds pas ! Il serait si simple de répondre si tu n’étais pas un ami ! Mais tu as le droit d’être exigeant et j’ai le devoir de vaincre ma paresse, de trouver pour toi quelques heures pour t’écrire. […] Maine, Béni, moi, nous t’attendons à Zürich pour le mois de juin. […] Moi, ici, je suis assez heureux ! La présence des Bänninger fait tout : Leur exemple, surtout. Le pire, c’est que j’ai peu de temps pour moi-même ; [les] jours passent et je remets trop souvent mon seul travail, ce grand texte que je porte et qui est toujours aussi fort, aussi tenace en moi. / On m’a fait préparer une conférence sur la poésie française que je vais donner à Winterthur le mardi huit mai. Ce fut un travail long et trop souvent interrompu. Je compte sur ta présence pour me faire faire le reste. […] Je me suis échappé deux jours à St Saphorin. Ma maison humide se ruine un peu de mon absence. C’est le seul regret que j’aie, car je me suis attaché à ce lieu, à ce que j’y ressens. Au fond, j’ai besoin d’une éspèce de silence, d’une éspèce d’atmosphère, de l’eau. L’eau est purification ; j’ai un désir de l’eau comme si je n’avais pas été baptisé. » 8 mai. Conférence à Winterthur de Georges Borgeaud et capitulation de l’Allemagne signée à Berlin. 12 mai. Lettre à sa mère de Zurich. « Ma mère petite maman, / Je suis profondément en pensée avec toi pendant ces mauvais jours et je fais des vœux quotidiens et fervents pour que tu puisses garder ton sang-froid, ta volonté et je souhaite, surtout, que le pire n’arrive pas afin de ne pas te trouver seule subitement. […] Je pense descendre à Pentecôte vers la Suisse Romande. Si je puis te voir à ce moment là, c’est entendu, je viendrai de suite. Mais il faut te voir sans ta famille et ce sera peut-être difficile. » 13 mai. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Zurich. « Que dis-tu, si nous venons le Bâlois et moi, [Jürg Spiller, poète surréaliste] le samedi et dimanche après Pentecôte discuter de tous les projets [d’édition]. » 21 mai. Lettre à sa mère de Saint-Saphorin. « Au fond, j’ai réfléchi. Il vaut mieux que je vienne ce soir à Lausanne puisque je rentre à Zürich, ce soir. J’arrive à l’hôpital [où doit être admis Paul Gavillet] vers 18.15 heures et pourrai rester jusqu’à 7 heures. / J’avais oublié qu’à midi, j’avais un rendez-vous avec Mr Egloff à St Saphorin même où il descend avec Bataillard. » Sans date. Lettre à Yoki de Zurich. « Mon très cher Yoki, / Quelle bonne journée, avec toi, avec Strub – que j’aime bien ! – à St Saphorin, à Glérolles. Nous n’aurons guère échanger [sic] d’idées, de confidences, mais nous nous devinions comme auparavant, avec la même amitié, avec la même attention. C’est l’essentiel. Tu es, Yoki, mon meilleur ami. J’aime jusqu’à cette façon que tu as de ne pas prendre au sérieux mes déclaration d’amitié. Tu as une pudeur extrême. / Je t’écris pour t’annoncer que Germaine Richier trouve qu’il est excellent et même salutaire que tu viennes à Zürich au mois de juin, même si elle n’est pas là. Son absence, à Paris, ne durera que deux semaines pendant lesquelles son atelier est ouvert avec le modèle et pour ce qui concerne la “surveillance” de tes travaux, elle te présentera à Ernest Morganthaler. Donc viens ! Ecris-moi, confirme et je m’occuperai de te trouver une chambre. » 27 mai. Lettre à sa mère de Zurich. « J’ai bien pensé à toi depuis mon retour à Zürich ! La maladie de Paul m’a tellement frappé qu’elle a mis sur le reste de mes vacances de Pentecôte, comme un gros poids de tristesse. Et surtout cet appareil qui m’a prouvé qu’il ne s’agissait pas d’une petite maladie ! Je suis sûr que beaucoup de questions, pour l’avenir, te tourmentent. J’aimerais que tu oses m’en parler et que nous voyions ensemble les solutions que nous pouvons trouver. Il faut que tu te mettes dans la tête que tu trouveras toujours auprès de moi le premier réconfort, car c’est bien à ce moment là qu’il faut manifester que nous sommes de la même famille. / La façon dont Paul m’a reçu m’a montré combien il est attaché à moi et je dois dire que son affection me touche beaucoup. Il a passé, avec moi, de bien mauvais moments et je n’ai pas manqué de lui donner des soucis. Je suis heureux que cela n’ait d’aucune manière empêché l’amitié. Tu lui diras combien je pense à lui et tous les vœux que je fais pour qu’il ait du courage. Il a toujours montré une énergie à toutes épreuves et je ne m’inquiète pas. […] Quant à toi, il faut te ménager un peu. Ne pas trop [te] fatiguer, bien te nourrir. Les forces doivent servir pour plus tard. Donne-moi de tes nouvelles aussi ! […] Quant à moi, tout va bien ici, d’une façon monotone, mais je suis habitué à cette monotonie et ne me rebiffe pas. / Je t’embrasse bien fort, chère petite Maman ainsi que Paul. »

8 juin. Lettre à sa mère de Zurich. « Comment vas-tu ? Comment va-t-il ? J’ai sans cesse du souci et de l’inquiétude pour vous deux et j’aimerais pouvoir faire quelque chose pour vous. Je suis là, à Zürich, impuissant, isolé tracassé. J’ai eu une mauvaise semaine. Malade, fiévreux, nerveux ! Plusieurs déceptions d’ordre libraire m’ont assailli. Mais cela n’a aucune importance en face de vos soucis. Je suis responsable de la gérance pendant les quinze jours où le gérant est en vacances. J’aurai prochainement mes vacances, en juillet, j’espère. / J’ai plusieurs fois essayé de t’atteindre au téléphone mais tu n’es pas à la maison souvent et je le comprends. / Je voudrais que tu sentes que malgré mes lettres courtes, il y a quelqu’un qui pense à toi vivement et j’éspère que cela compte avant les pensées de tous les autres. / Mais que dire devant cette souffrance ? Il n’y a pas à bavarder. / J’éspère que je pourrai aller vous voir prochainement. / Dis à Paul mon affection, mon attachement et combien je sais qu’il est bon avec moi. Je pense bien à lui et l’embrasse. / Et toi aussi. / Georges. » 9 juin. Lettre dactylographiée à Pierre-Olivier Walzer de Zurich. « Tu sais bien que je n’exagère pas. Vous êtes tous les deux de cette espèce de trésors qui vient directement des contes de fées. C’est la maison dont les murs sont en pains d’épices, les fenêtres en nougat et les tuiles en sucre d’orge. C’est banal de le redire – […] Nous passerons ensemble de belles vacances. Il le faut. Ce sera, pour moi, depuis 1940, les premières vacances qu’Egloff m’accordera – ». Suivie d’une lettre à Simone : « Une semaine déjà, chère Simone, que je prenais ce chemin de Porrentruy ! Une semaine déjà que j’arrivais […] C’est sûr qu’il vous faut venir à St. Saphorin passer quelques vacances et si possible en même temps que moi. Je pense que je serai libre 3 semaines à la mi-juillet. […] Porrentruy est tellement hospitalier que mes amis me disputent. Je dois dire qu’une pareille mesure d’amitié me bouleverse et m’affolle. Il est naturel alors que je fasse quelques gaffes. » 17 juin. Mort de Paul Gavillet à Lausanne.

6 juillet. Lettre à Yoki de Zurich. « Je suis heureux des nouvelles que tu me donnes sur ton atelier que j’irai voir bientôt, mais surtout je suis abasourdi par la valeur que prend ta peinture de mois en mois. J’ai, pour la juger, cette photographie que tu m’as envoyée : cette jeune fille qui attache son soulier. […] Tout cela me fait bien regretter que je n’aie pas trouvé l’argent pour aller voir ton exposition. C’était impossible. J’ai d’ailleurs eu un très mauvais mois financier : il m’a fallu aller à l’enterrement de mon beau-père à la mi-juin. Je suis resté deux jours à Lausanne, avec ma mère, dans cette atmosphère de deuil. Cela m’a plus épuisé que toutes les épreuves de librairie. / Ma pauvre mère est seule et n’importe quels chagrin et misère me bouleversent. J’ai décidé que je passerai une semaine de mes vacances avec elle, en Valais. Nous nous promènerons ensemble, un peu comme St Augustin et sa mère, car, au fond, j’ai presque de l’affection pour cette âme pauvre qui a montré pas mal d’énergie, soutenue par aucune foi, aucun élan intérieur. / Mes vacances commenceront le 21 juillet. Je pense que jusqu’au 28 juillet, lendemain de mon anniversaire, je remplirai mes devoirs filiaux à Vercorin sur Sierre où nous sommes invités. La semaine suivante, je serai entièrement libre à St Saphorin. Les Müller et moi avons conçu un petit projet.Vous viendrez le 1er août me voir à St Saphorin. […] Combien t’ai[-]je cherché le dimanche où j’ai passé à Fribourg après le vernissage Richier ! […] Tu ne peux savoir combien pèse sur Fribourg l’atmosphère cléricale, écclésiastique, [sic] monastique et celle, la pire, de l’internat. Je suis rejeté, par elle, dans un passé affreusement triste. J’ai repris avec joie le train de Zürich ayant manqué mes amis. » 17 juillet. Lettre à sa mère. « Ma chère Maman, / Quelles peines ai-je eu à dénicher en Valais un petit coin de village qui ne soit pas trop haut, ni trop cher, ni trop laid. A Vercorin mes amis de Chastonay étaient persuadés que je trouverai[s] place, mais je m’y suis pris trop tard pour demander les chambres. […] Mais on transforme la librairie du 15 août au 15 septembre. Il est obligatoire que je sois là, paraît-il, c’est pourquoi je prends ces vacances à la date du 21 au 5 août. […] Après des téléphones partout : Chandolin, St Luc, Grimentz, les Haudères, je n’ai trouvé qu’une pension à Ravoine, au-dessus de Martigny. Mais, après avoir chercher [sic] sur la station de Ravoine, on m’a dit que cela n’était pas laid et même agréable. Donc, c’est décidé, nous allons là et nous verrons bien. / Voici le programme tel qu’il est le mieux conçu. Je pars de Zürich vendredi soir, coucherai à St Saphorin pour te retrouver à Aigle le samedi matin au train qui part d’Aigle pour Martigny à 8.54 heures. […] Nous lirons (j’apporterai des livres pour toi !) nous nous reposerons et nous flânerons dans la campagne. Ce sera magnifique. Je suis si profondément fatigué, nerveux et d’une santé pas très solide ces temps, que ce sera un paradis. Il est bien entendu que je t’offre ce séjour. Après tu iras à St Imier chez les très bons von Allmen. / Voilà ! Ma chère maman ! Nous nous verrons assez pour parler un peu de tout ce qui nous tient à cœur. / – / Je suis enchanté de la bonté des cousins et cousines. Il faut que tu te sentes aimée, entourée et que tu songes à épanouir un peu ce que tu as dû un peu trop refouler en toi pendant les belles, j’en suis sûr, mais un peu étouffantes années de mariage. Tu sais assez que tu es demeurée si jeune encore ! » 19 juillet. Lettre dactylographiée à Pierre-Olivier Walzer de Zurich, en-tête de la Librairie Française. « Je ne pourrai aller à Porrentruy à la fin de la semaine. La seule pension que j’ai trouvée en Valais, ne peut nous prendre, ma mère et moi, que du samedi 21 juillet au 28. C’est à RAVOIRE sur Martigny, Pension Feylet, où vous pourrez m’atteindre dès après-demain. / J’avais promis à ma mère, après son deuil, de passer quelques jours avec elle. Il n’y a pas moyen d’échapper à ce devoir. / Mais cela ne doit pas nous empêcher de nous voir. Je rentre à St. Saphorin le 28 juillet dans l’après-midi et y serai jusqu’au 5 août. Etablissez établissons quelques magnifiques projets ensemble. Ecrivez-moi à Ravoire. »

6 août. Lettre à Yoki de Zurich. « Avant de monter chez les Béni [Bänninger], je te dis que je crois que notre rencontre d’hier fut excellente. Nous nous sommes compris, nous nous sommes devinés. J’ai vu que tu es un grand, sérieux et profond travailleur. » 9 août. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Zurich. « Je t’écris à la hâte, car la librairie est en complète transformation et nous commençons les déménagements. » 13 août. Lettre à sa mère de Zürich. « J’aimerais bien vivre avec toi à Lausanne. Nous garderions St. Saphorin pour nous échapper de temps en temps. » 20 août. Lettre à sa mère de Zurich. « J’ai essayé de tâter le terrain au sujet d’une place éventuelle à Zürich, soit dans le magasin de porcelaines Kiefer ou dans la soierie. Il ne faut pas se faire des illusions. Les réponses étaient vagues et imprécises. D’ailleurs je ne tiens pas à faire long feu à Zürich où je ne me plais pas. Je songe déjà à partir pour Paris au printemps prochain. / Quant à une gérance Naville (Kiosque) je vais essayer de me renseigner en douce. L’idée n’est pas mauvaise. Pour le Valais, par exemple. Mais je dois t’avertir que Naville paie mal. Les trois collègues que j’ai, ici, viennent de là et ce qu’ils racontent n’est guère encourageant. […] Quel est le tour de cochon que le beau-père a pu te faire pour que tu ne touches rien. / Je t’embrasse. / Georges. » 27 août. Lettre à sa mère de Zurich. « Dimanche prochain, moi, je pars, invité entièrement par mes amis Bänninger, au Tessin, à Ronco-sur-Ascona. J’y resterai quelques jours, autorisé par Mr Egloff. C’est pour mon avenir. Je rencontrerai là-bas un éditeur parisien en vacances à qui l’on veut me présenter afin de préparer mon voyage à Paris. C’est un rendez-vous de toute importance. Je te tiendrai au courant. […] Je t’envoie les deux brouillons de lettres demandées. Quand veux-tu que nous écrivions à la belle famille. Je suis prêt à mettre tout mon cerveau en travail pour ce chef d’œuvre. […] Moi, je vais bien et me réjouis de quitter la Suisse alémanique. »

5 septembre. Carte postale à sa mère de Ronco. « Quelle beauté que cette partie du Tessin ! Soleil, fruits, hospitalité et je pense, aussi, réussite, pour le printemps prochain dans mes projets parisiens. Je te donnerai des détails dans ma prochaine lettre. » 16 septembre. Lettre à sa mère de Zurich. « Bien voilà ! Il est tout à fait décidé, sauf imprévu, que j’irai à Paris au printemps prochain, soit vers la fin mars, soit vers la mi-avril. J’ai trouvé un travail chez un éditeur grâce à des amis Zürichois. Ce qui compte pour moi, c’est d’être à Paris. Pour le reste, je me fie à ma bonne étoile. Nous parlerons de tout cela de vive-voix. […] Comment vas-tu ? Repose-toi, dors et ne t’inquiète pas trop. Je prédis à la belle famille tout ce que l’on peut souhaiter de pire. Ils sont vraiment trop inhumains. […] J’ai une grande nostalgie de la Suisse Romande. » 23 septembre. Carte postale de Charles-Albert Cingria de Lausanne. « Grande reunion hier avec Egloff, Gea, Buchet et tous les employés de la librairie. Beaucoup de gens de Fribourg ont demandé de vos nouvelles. » 25 septembre. Lettre à Yoki.

13 octobre. Lettre à sa mère de Zurich. Ida Gavillet a décidé de « faire pension » pour avoir un revenu. « Comment vas-tu ? Tes pensionnaires sont-ils agréables ? Es-tu fatiguée ? La formule de pensionnaires est-elle bonne ? Je suis un peu inquiet. Vraiment, je suis un mauvais fils : j’aurais dû t’écrire ! Mais pourquoi ne le fais-tu pas toi quand tu me sens silencieux ? J’ai eu un mauvais chagrin ces derniers temps : j’avais fait la connaissance d’une gentille fille, mais cela n’a pas duré. J’ai été très éprouvé et avec la fatigue de mon travail, je n’étais pas brillant. Je sais que cela n’excusera pas mon silence. / J’ai besoin de savoir comment tu vas et que tu me fixes un rendez-vous. Il faut se revoir, toi, petite maman délaissée et probablement toujours triste. A moins que tu aies été entourée mais par qui ? / Quand je serai à Paris, j’éspère pouvoir t’y amener, te faire vivre chez moi. Nous verrons comment les choses iront les premiers temps, mais il faut que tu coupes les ponts avec ton passé. / Nous serons heureux ensemble, essayant de nous comprendre mieux, car, au fond, ton mariage avec Paul qui était gentil, t’avait un peu éloigné de ton fils qui est resté sauvage. Mais nous nous retrouverons, n’est-ce pas ? / – / Ici, la vie est bien fatig[u]ante et je me sens un peu seul, mais cela passera. Nous sommes seuls l’un et l’autre à l’autre bout de la Suisse. / – / Figure-toi que j’ai perdu (réellement) la carte de sucre que je cherche partout chaque fois que j’en ai l’occasion. Peut-être la retrouverai-je ! / Il fait froid, humide ici. Le brouillard de l’automne pénètre tout. / Quand je viendrai à Lausanne, nous achéterons un manteau, ensemble, pour moi ou ici à Zürich. / As-tu des difficultés financières ? J’éspère que non. Fais moi un peu confiance et raconte-moi un peu ta vie. Tu ne m’as jamais fait beaucoup de confidences. Maintenant que tu n’as plus que moi, sois un peu comme une amie. »

8 novembre. Lettre dactylographiée à sa mère de Zurich. « Je viens samedi, dimanche, lundi et mardi à St. Saphorin car depuis le temps que je suis sur la brêche à la librairie, on me devait des journées de congé. » Même jour. Mort d’Alexandre Cingria à Lausanne. 15 novembre. Lettre dactylographiée à sa mère de Zurich. « Il m’a été impossible d’aller te prendre chez le docteur Gavillet. / D’ailleurs les résultats de mes visites ont été désastreux. Ton beau-père n’était pas là. J’ai attendu un bon quart d’heure à la porte imaginant qu’il était un peu en retard mais il n’est pas venu pendant ces quelques minutes. Je me suis alors précipité chez Peter qui m’a fait attendre un quart d’heure dans la salle d’attente pour me faire dire ensuite qu’il était en pleine réunion d’actionnaires. Il m’a donné rendez-vous pour le lendemain. Je lui ai fait dire que je n’étais pas là, alors il m’a chargé de lui écrire, ce que je vais faire ces jours-ci. Je t’enverrai le brouillon avant de l’expédier. […] J’ai été heureux de te voir dimanche et mardi. »

1er décembre. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Zurich. « Mon cher Pierrot, oui, c’est vrai, j’écris peu ! Il faut mettre la faute, à cet état de choses, sur ma paresse, mais aussi sur le métier qui, voilà près de 10 ans, m’abrutit un peu plus chaque jour. C’est pourquoi j’ai décidé de donner mon congé à Egloff pour la fin de mars prochain, sans avoir, pour autant, un projet bien plus mirobolant et un avenir définitif. Ce que je veux c’est rompre avec ce cercle d’ennuis, de mesquineries, d’heures perdues à être présent régulièrement à ces travaux de commis de libraire. Puisqu’Egloff n’a pas su me mettre à la bonne place et qu’il a mis au-dessus de moi, partout, des personnages falots, légers et ambitieux, je vais briser avec ce cauchemar et m’échapper du labyrinthe. Cependant je dois te dire, sachant combien tu es amical pour moi et innocent, que j’ai été bien déçu des “Portes de France” qui ont engagé le brave Vogel à un poste où son inéxperience et sa naïveté vous joueront peut être des tours. J’avais éspéré, ouvertement et sans intrigues, que l’amitié de Jean et les efforts que j’ai faits pour lui, me donneraient une avance sur ceux qui, au contraire, en leur temps, ont débiné toute la maison. / J’ai rendu quelques services à la maison, services bien modestes et discrets, mais qui, une fois alignés, ne sont pas sans importance. / La libération, je le comprends, ne viendra pas de là. C’est dommage ; je pensais la mériter un peu et peut être n’aurai[s]-je pas si mal fait l’affaire. / Je puis te dire cela, mon cher Pierrot, d’autant plus facilement que je te sais absolument innocent et que jamais il ne me viendrait en tête de t’accuser. Je devine, au contraire, que tu dois être aussi un peu victime des ambitions de l’équipe. Paris leur tourne la tête. Ton rôle qui est de modérer, de mettre en garde, de choisir, d’équilibrer est si important qu’il ne faudrait pas que l’on te mette à l’écart. C’est pourtant ce que j’entends dire autour de moi. Cela m’effraie, m’effraie. / Comme la maison était sympathique, au début, très particulière, par conséquent nécessaire et si loin des affollements ! […] Pourquoi t’aurais-je caché tout cela ? Tu es un cher ami. J’ai toujours pensé que tu étais trop humain, trop délicat pour n’être pas parfois, victime des sociétés anonymes et par actions. Mais laissons cela ! […] J’ai décidé de donner mon congé pour la fin mars à Egloff. Il n’y a rien à faire, je ne puis supporter davantage l’esprit de la maison et cette immense lassitude qui bouche mon horizon. C’est pas mal que d’avoir été fidèle 10 ans à la même occupation et toujours soumis. / Je romps ! J’écris, j’écrirai, tu verras. […] Au début de janvier, j’irai 8 jours à Paris. Je te tiendrai, de vive-voix, au courant des démarches que je fais là-bas. J’irai te voir, vous voir, tous les deux, à Porrentruy, après mon voyage de Paris. Chargez moi de toutes les commissions que vous voudrez pour Paris .[…] Je n’ai pas d’autres nouvelles à vous donner. Je pense bien souvent à vous deux, amis très chers, très fidèles. / Simone est-elle heureuse ? Es-tu heureux Pierrot ? […] Je regrette toujours un peu que notre correspondance avec Pauline Noirjean ait été interrompue à cause d’une famille respectueuse, religieuse, et emmerdeuse. Puisque ni l’un ni l’autre n’avons voulu forcer ce barrage entre nous, c’est que l’amour profond n’y était pas. / Au revoir, très chers. / Georges Borgeaud. » 12 décembre. Lettre à sa mère de Zurich. « D’abord, je ne puis t’envoyer un petit pécule ce mois-ci. Mais pour ton Noël, tu auras de l’argent de ma part. Si je ne puis le faire cette fois-ci, c’est pour la simple raison que je dois aller à Paris le 29 décembre jusqu’au 6 janvier. J’ai déjà mon visa et j’ai commandé mon billet de chemin de fer. C’est un voyage assez coûteux, mais il est indispensable que je le fasse pour mes affaires personnelles. / Cependant, je te verrai avant mon départ. A Noël, que fais-tu ? Je serai libre deux jours. Tu pourras venir à Zürich, où j’irai à Lausanne J’attends tes suggestions à ce sujet. / J’ai donné mon congé à Egloff pour la fin mars. Il me regrette, mais je n’ai pas pu m’empêcher de lui faire les reproches que je portais sur le cœur. De toutes façons, nous nous quittons sans inimitié. Sa recommandation me sera très utile à Paris. D’ailleurs, je le verrai là-bas ; nous nous sommes déjà donnés rendez-vous. /– / Et toi comment vas-tu ? Es-tu toujours aussi seule. Je veux aller voir tes beaux-parents, c’est la meilleure solution. Nous en reparlerons quand nous nous reverrons. / A la hâte, mais tendrement, je t’embrasse / Georges » 14 décembre. Lettre dactylographiée à Pierre-Olivier Walzer de Zurich. « Il m’a bien semblé, mon cher Pierrot, que ma lettre était injuste, mais il me fallait l’envoyer. Tu es amical, gentil de ne t’être pas fâché. J’avais oublié que V. était français. C’est un argument très fort et je vous comprends tous. Alors, oublions ce mot. / Je suis heureux de savoir que tu as encore bien les pieds dans la maison des “Portes”. / Je pars à Paris le 29 décembre, au soir. J’y resterai une semaine. » 15 décembre. Lettre à sa mère de Zurich. « Je suis navré que tu sois si seule, mais, malheureusement, je suis trop loin de [Lausanne] et nous nous voyons peu. Tu ne peux savoir combien je regrette que tu sois prise le jour de Noël. Pourquoi n’as-tu pas pensé que tu pouvais passer ce jour là avec ton fils ? Pour moi c’est aussi une déception que tu n’aies pas songé à me demander, avant de te laisser inviter, si nous passerions Noël ensemble comme il me semble normal. Car, ne suis-je pas ton ami le plus direct ? Nous sommes deux natures très, peut être trop, indépendantes et nous nous faisons toujours un peu souffrir. Je regrette de ne t’avoir pas écrit plus souvent. / Il m’est impossible d’aller le 27 ou le 28 à Lausanne, car je travaille ces deux jours là et le 29, je pars à Paris, pour huit jours. Ce voyage est d’ailleurs indispensable. Je dois y aller, sinon je ne ferai pas ces frais et à un si mauvais moment de l’année. »