1944

Année des 30 ans, de la suite du travail à la LUF (Fribourg) et de la vie militaire, du deuxième coup de foudre amoureux après celui pour Corinna, du départ pour la “Librairie Française” de Zurich.

2 janvier. Lettre à Gustave Roud, en campagne. Conservée au CRLR. « Cette vie de l’armée me devient chaque jour plus écrasante, tant je finis par être recouvert de sa vulgarité. / Depuis deux mois et demi dans le canton de Thurgovie, dans le brouillard et l’indifférence des gens et de la nature : il faut questionner ces mornes journées d’hiver humide, une patience et un appétit que je n’ai pas. St Saphorin alors est un miracle quand j’y reviens. Car vous le savez, j’ai quitté Glérolles et habite un ancien moulin, près du ruisseau, dans le village. Vous viendrez le voir. C’est un fief de Glérolles, dit Paul [Budry]. » 9 janvier. Lettre à sa mère. « Un grand merci pour ces paquets royaux. Cela a fait plaisir à Jean [von Allmen] qui t’écrira ou ira te voir prochainement. […] Je t’écris pour te dire de ne pas oublier la fondue de mardi [11.01 ou 18.01] avec mes copains, à St Saphorin. […] Figure-toi que nous serons remobilisés pour 10 jours, en février à nouveau : manœuvres. Cela nous répugne déjà. Quels abus dans cette D.C.A. » 16 janvier. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Saint-Saphorin. « Ta lettre est partie pour la campagne le jour de la démobilisation. Elle est revenue à Saint-Saphorin où elle m’a attendu jusqu’à aujourd’hui. J’étais au Châble chez Chappaz depuis mercredi, et à Verbier, tout à la fois. Heureux d’une réconciliation, plutôt de nous être revus, Maurice et moi, car je n’ai jamais su lui faire la tête comme il est naturel de le faire dans ces circonstances. Au fond, nous n’y comprenons rien aux habitudes du monde, ou à ce sens de la fierté. / Journées merveilleuses que celle que je viens de passer avec lui, avec ami Rossa revenu d’Italie après 16 mois de prisons fascistes. Et pour nous reposer de tant de colloques, le ski de l’après-midi, très haut, au-dessus des forêts. / Demain matin, déjà, il faudra retrouver la face pluvieuse d’Egloff et la camaraderie des femmes. / Tu me poses deux questions. J’ai mis au courant les instituteurs de Bienne de ma défection et leur ai donné ton adresse, après t’avoir présenté comme une gloire du pays, à son début. Je ne comprends pas leur silence. Faut-il les relancer ? / D’autre part, j’ai écrit à Madame Hanhloser. Pas de réponse, non plus. Il me faudra insister. / — / Bien sûr, samedi prochain, je serai à St Saphorin depuis le matin. La maison vous est ouverte puisque vous voulez bien l’aimer. Je vous attends tous les deux. Dis à Simone mes bonnes salutations et à toi, bon Pierrot, mon amitié fidèle. / Georges / P.S. où atteindre Paul Cuttat ? » 19 janvier. Carte postale à sa mère de Fribourg. « Je t’ai fait envoyer un calendrier que je t’offre et que j’ai pu avoir à bon compte. J’éspère que tu ne l’as pas déjà ! / Je n’ai pu passer à Lausanne, étant monté par Puidoux-Chexbres. Mais je te reverrai bientôt. / Un grand merci pour ce bon dîner que tu nous as fait, à moi et à mes camarades. La fondue a été un peu ratée, étant venue au feu, mais l’assemblée était gaie et c’est l’essentiel. / Amicalement et tendrement / Georges » 23 janvier. Lettre à sa mère de Bulle. « Merci de ton mot qui m’a fait plaisir tant j’étais découragé pendant ces manœuvres. Elles furent pénibles surtout : froid, faim, fatigues de toutes éspèces. Ah ! si elles avaient duré, je ne sais ce que nous serions devenus. La révolte nous aurait poussé à bout. […] Ah ! revenir à la vie civile ! Je suis fatigué : sommeil, saleté. »

11 février. Lettre à sa mère. « J’ai reçu un second ordre de marche m’obligeant à partir un jour plus tôt. Je passerai à Lausanne le lundi soir prochain. […] J’ai beaucoup de travail à la librairie et c’est heureux car le patron me sent tout à fait indispensable. Naturellement, mon service militaire est toujours l’obstacle premier de mes relations avec lui, et c’est mauvais pour mes finances ces trop fréquentes relèves. Celle là ne durera, heureusement, que 10 jours. » 20 février. Lettre à sa mère. « Nous sommes partis de Bulle, le soir, pour aller, en camions à La Sarraz. J’ai passé par Vevey – St Saphorin – Lausanne, mais nous étions [si] frigorifiés dans nos camions découverts que notre plaisir était bien mitigé. Cette nuit, à trois heures, départ pour une ferme isolée près d’orbe d’où je t’écris. A quatre heures, ce soir, la petit guerre commence. Nous sommes les troupes assaillantes. […] Tout se terminera jeudi par un défilé, à Lausanne ou Yverdon je ne sais encore. Tu l’apprendras par les journaux. / Tout est normal à part le poid[s] et le manque de sommeil. […] Samedi prochain [26.02] nous serons démobilisés. » Même jour. Lettre à Yoki. « Je suis postier et j’ai aperçu dans la liasse des lettres, ton encre de chine. Merci. Non ! Je n’aurai pas passé vers l’Emmenthal. Tout se passe pour nous entre La Sarraz, Yverdon-Orbe-Romont-Bulle. Aujourd’hui, dimanche, j’écoute dans la chambre d’une ferme isolée sur la plaine de l’orbe, une chose de Mozart que j’écoute délicieusement, sans trop d’attention, mais juste assez pour savoir que la musique continue. / C’est une course effrénée pour nous dans la campagne vaudoise. Nous sommes les troupes assaillantes. Mais la guerre commence à cinq heures. / Yoki, tu es un ami unique, ma plus douce et ma plus chère amitié. Merci de signifier tout cela pour moi. » 23 février. Carte postale à Yoki. « Les manœuvres se sont terminées hier au soir. Nous sommes tous épuisés. […] Je ne désire qu’une chose : dormir, me baigner être seul quelques instants. »

1er avril. 50 ans d’Ida Gavillet. 12 avril. Lettre à sa mère de Fribourg. « J’ai bien pens[é] à toi pendant les fêtes de Pâques, malgré que je sois resté très silencieux. Je suis, pendant ces jours, demeuré à St Saphorin, tout seul, mais tout à fait agréablement. J’ai dormi, me suis parfaitement reposé. […] Je viendrai te voir à Lausanne le samedi 23 avril, à moins que tu te sois décidée à aller te reposer. »

Mai. Libraire à la LUF. 10 mai. Lettre à sa mère de Fribourg. « Je te remercie vivement pour l’accueil de samedi et pour ce joli cadeau que tu m’as fait en me donnant une cafetière turque, et le café. Merci. J’avais préparé l’enveloppe avec cette carte de sucre. La voici aujourd’hui ! – Nous avons diner, hier au soir, Paul et moi extrêmement agréablement. J’éspère que tu viendras une fois à Fribourg, pour la Fête-Dieu par exemple. Je te recevrai volontiers dans cette ville d’adoption. »

1er juin. Lettre à Gustave Roud de Fribourg. 12 juin. Lettre à Yoki de Fribourg où GB évoque son père-géniteur « à Caen ». « Mon très cher Yoki, / Ma première lettre, commencée il y a dix jours, est devenue illisible ! Est-ce parce qu’elle date d’avant le débarquement en Normandie [06.06] et qu’il semble qu’à cause de lui, nous avons mûri, nous avons quelque chose de plus profond à nous dire – Je n’en sais rien ! Ce que je sais seulement, c’est que ta dernière lettre où tu fais généreusement allusion à ces évènements et tout à fait dans le bon sens, me rapproche singulièrement de toi. Je ne savais comment t’écrire pour te communiquer ma joie. Je me disais, il n’aura pas changé : cette attaque à la France et sur une terre magnifique, le remplira de dégoût pour la cause alliée et son pacifisme se rétrecira encore, jusqu’à l’absurde. Alors, pour moi, ça aurait été une déception énorme et il me semble que de causer avec toi seulement de poésie, de belles et nobles choses, aurait sonner faux, tout cela s’établissant sur un malentendu et, de ta part, sur le refus de voir que cette poésie, que ces choses sont défendus par les armes parce qu’elles ont été menacées avec des armes. […] Dans ma chambre il y a, sur les dessins d’Auberjonois, une grande carte de la France fixée et à chaque instant je vais la regarder, lire ces noms de villes et villages français. Il faudrait que la campagne de France aille aussi vite que celle d’Italie pour éviter les destructions. / Il faut que mon père qui est à Caen survive afin que je le retrouve. Je suis intéressé directement à tout cela. / — / Mais je ne suis pas mobilisé et je n’y comprends rien. […] J’ai assisté jeudi dernier à la Fête-Dieu de Fribourg. Quel triste cortège ! Quel défilé de têtes à gifle ! J’aurais aimé aller à Romont mais ta maman est venue à Fribourg et je l’ai retrouvée un instant avec Mimi. Une Mimi toujours trés vive et arrogante (c’est si agréable !) Ta maman affectueuse, généreuse et taquine. Avec Michel et Suzanne nous avons été les accompagner chez la religieuse au Schönberg. Il faut dire que cette villa où l’on marmonnait des prières ce jour là, dans la chapelle m’a plus attristé que réjoui. Je ne sais ce qui se passe en moi, mais tout ce qui ressemble au pensionnat, à la congrégation, à l’orphelinat me fait une peine insoutenable. […] Aujourd’hui je me suis caché dans ma chambre fribourgeoise à lire Francis Jammes. Je t’écris ce soir, heureux et tout simplement. » 19 juin. Lettre à Yoki. « Voici quelques livres que j’aime beaucoup. Soigne les, tout particulièrement Andersen. » A passé la nuit chez la mère de Yoki à Romont.

12 juillet. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Saint-Saphorin. « Samedi dernier, à la librairie, tu as oublié les épreuves que Buchet m’avait envoyées pour toi. Je les retrouve dans mon veston et m’empresse de te les expédier. / Demain est le départ si anxieusement attendu. Je ne vieillis certes pas dans la peau d’un soldat. » 13 juillet. Mobilisation. 17 juillet. Lettre à sa mère. « Voici mes premières nouvelles ! Nous sommes à nouveau près du lac de Constance, dans le canton de Thurgovie. Le village est plus grand et s’appelle Wängi. Nous y avons de fréquentes alarmes et nous entendons les bombardements sur l’Allemagne. / Notre capitaine qui est nouveau est beaucoup plus sympathique que le précédent, plus régulier d’humeur, plus juste et plus large. Au fond, si ce n’était pas un travail immensément ennuyeux, le service militaire aurait des avantages : pas de soucis, du plein air. Mais hélas, les inconvénients sont plus nombreux que les avantages. […] J’ai été fort heureux que tu aies pris du plaisir à venir me voir à la maison[n]ette de St Saphorin. C’est une joie immense pour moi que de m’y retrouver. Et avec la casserolle que tu m’as achetée, c’est le confort qui y pénètre. Merci. » 19 juillet. Lettre à Yoki. « Je suis depuis bientôt une semaine en Thurgovie, plus près encore du lac de Constance que la dernière fois. […] Car je n’ai, naturellement, pas été renouvelé postier et je suis avec la troupe. […] Tu vas à peine me croire, ou croire, alors, que je me laisse suggestionner par tes préfèrences, mais dans le Paris que je t’ai envoyé, j’ai aussi retenu avant tout les deux peintures de Marquet. J’ajouterai, mais pour des raisons plus sentimentales, le dessin de Seurat qui montre une femme appuyée, avec des jambes nues. Tout cela est, pour moi, d’une façon absolue et complète Paris. Pour la dernière chose, un souvenir particulier de Paris me la restitue dans ce dessin de Seurat : j’avais vu dans une rue très silencieuse, une jeune fille ainsi appuyée, dont la jupe noire ouverte m’avait laissé voir ses jambes et qui me faisait signe de la suivre avec tant de désolation sur son visage, tant d’appel à la pitié, à la tendresse. C’est une coïncidence que ce dessin me rappelle cela. Tu vois que le rapport est bien particulier. Mais Marquet, ça, c’est d’une vérité par rapport à Paris, extraordinaire. Que tu l’aies remarqué me fait constater que sans avoir vu Paris, tu le connais déjà, tu le devines justement. Comme tu l’aimeras et comme il t’inquiétera aussi ! / — / Il y a de belles choses encore dans ce livre […] et j’aime ces reproductions un peu populaires, qui ne sentent pas l’objet de luxe. Mais littérairement, le choix est bien bizarre, incomplet (il n’y a pas Apollinaire, si parisien !) qui nous fera, une fois, respirer réellement les poète de Paris, dans une bonne anthologie ! […] Te dire encore que les Bänninger viendront à St Saphorin cet été, en août, chez moi. Je te donnerai de plus précises nouvelles. / J’irai les voir à mon prochain congé. » 27 juillet. 30 ans.

Août. Achevé d’imprimer de Théoda, de S. Corinna Bille, aux Portes de France. 13 août. Lettre à Yoki. « Alarmes, exercices de visée sur avion, de nuit, patrouilles nocturnes, équipes de nuit encore pour construire des positions de DCA camouflées, donc creusé[e]s. Voilà dimanche ! Un peu fatigué, ahuri par les chaleurs et diverses émotions – de la guerre à des joies toutes particulières et secrètes ! – je me fais l’effet d’être un personnage, pour moi-même, un peu fantomatique. Je ne sais si j’existe ou pas. […] J’ai eu samedi soir dernier jusqu’au lundi soir 48 heures de congé. A l’aller, j’ai passé presque une heure avec Béni [Bänninger] et au retour, une longue et magnifique soirée avec Maine et Béni [Germaine Richier et son mari Otto Bänninger], seuls. Nous avions été rendre visite aux parents de Béni – surprenante rencontre, surprenant milieu ! – Béni, avec un sarcloir, cherchait des vers pour sa pêche du lendemain. Maine et moi, cherchions de magnifiques prunes rouges qui étaient tombées dans le buis et les buissons de lys jaunes. / Puis, au retour, une grande conversation passionnée (Maine et moi) sur une bien difficile définition de la poésie. Le refus de Maine de tout ce qui lui paraît obscur – au sujet de Mallarmé et Rimbaud ! – Mon effort pour lui démontrer que l’obscurité n’est qu’apparente et qu’il faut un état de poésie pour saisir le sens du poème et que les mots sont matière poétique et que le langage poétique se sépare du langage courant. La pierre ne suffit pas à la sculpture, elle est matière, tout le reste est à faire. Je lui ai dit qu’elle était de par le fait de sa sculpture dans l’état de poésie et qu’il n’était pas nécessaire qu’elle le transpose dans l’écriture. Puis, j’ai commenté en expliquant un poème de Mallarmé l’Azur, lui faisant saisir combien les mots avaient là un sens plein, absolu et quels raffinements de l’émotion ils exprimaient. Elle s’est émerveillée de cette clef que je lui offrais. Elle s’est accusée d’être paresseuse et de n’avoir pas habitué son esprit à cet effort poétique. Béni souriait avec amitié et s’amusait de notre ton passionné. […] Béni et Maine vont aller à St Saphorin y vivre, chez moi, une semaine, lui pour pêcher, Maine pour “conquérir Lausanne” comme elle dit. Ils partiront jeudi prochain, mais je suis très inquiet. Le lit que l’on voulait me prêter n’est plus disponible. Et Béni et Maine comptent sur mon hospitalité. Que faire ? Dis-le moi ! Ne peux-tu rien faire ? » 21 août. Lettre à sa mère. « Les nouvelles de France me remplissent de joie. Nous allons enfin être délivrés de ce cauchemar allemand ! La France retrouve son chemin. Encore quelques semaines et toute la France sera libérée. Paris probablement cette semaine.» 24 août. Naissance de Blaise Chappaz, premier fils de Corinna et Maurice.

2 septembre. Mariage de Simone et Pierre-Olivier Walzer. GB est garçon d’honneur, en habit militaire. 10 septembre. Lettre à sa mère. « C’est vraiment pas une excuse répétée : nous sommes terriblement tourmentés par des manœuvres constantes et un inconfort tels qu’ils nous est impossible d’écrire. Si je le fais, aujourd’hui, c’est en faisant un effort (il pleut, nous n’avons pas de table, nous préparons une inspection pour demain !) parce que je ne voudrais pas que tu penses à de l’indifférence, à de la négligence de ma part. J’aurais aimé te raconter mille choses. Il faudra que je le fasse en quelques mots ! / D’abord te remercier pour ce paquet et cette bonne chemise propre qui arrivait à point. On aurait dit que tu sentais cette inspection à venir et qu’il me manquait une chemise dans mon paquetage. Merci. Merci aussi pour les sèches. / — / Nous serons, malgré tout, démobilisés dans 9 jours, c’est à dire le mardi 19 septembre. Il le faut, car je ne sais si je trouverai[s] le cœur et l’énergie pour continuer. Cette existence d’abrutis ne me convient pas du tout et ma sensibilité est à dure épreuve. / — / Une grande joie que j’ai eue dimanche dernier. J’ai pu obtenir un jour et demi pour aller à la noce de P. O. Walzer que tu connais. Ce fut une très grande noce, très distinguée (tout cela en rapport à la ville de Porrentruy !). Ce serait très long de te raconter les détails. Je te montrerai à l’occasion les photographies faites, le menu extraordinaire et la carte des vins (jusqu’au champagne, à flots !) Nous étions une cinquantaine de personnages. J’étais garçon d’honneur et on m’avait mis à ma droite une cavalière charmante de Délémont (Pauline Noirjean) dont je suis tombé amoureux assez fortement. Nous nous écrivons déjà et tu la verras, je pense, le samedi 23 septembre à Lausanne. Nous nous sommes donnés rendez-vous au coup de soleil avec la jeunesse de ce mariage et les mariés. J’éspère que nous te verrons. / — / J’avais obtenu un congé jusqu’au samedi soir seulement. Un major d’artillerie, qui était de la noce a téléphoné au régiment pour une prolongation que j’ai obtenue jusqu’au lendemain matin seulement. / — / Nous sommes très près du lac de constance cette fois-ci et nous allons partir dans le courant de la semaine en manœuvres finales qui nous amèneront petit à petit à Bulle, place de licenciement. / — / Une nouvelle qui t’étonnera, ou pas du tout : Corinna vient d’avoir un garçon de Chappaz. Quelle chance que cette aventurière sympathique ne soit plus à mes côtés ! / Je t’embrasse et merci. / Amitiés à Paul / Georges » 13 septembre. Carte postale à sa mère, en campagne. « Une bien désagréable nouvelle ! Notre relève est prolongée à cause des évènements [l’armée américaine vient de passer les frontières du Reich]. Nous partons pour le Jura Bernois. C’est la poisse ! D’autant plus que j’allais séjourner à Lausanne pendant le comptoir pour le compte de la Luf qui a un pavillon pour elle, là. / J’aimerais te demander de m’acheter en Suisse Romande (introuvable ici !) le premier numéro du journal “Servir” qui vient d’être lancé à Lausanne. » 24 septembre. Lettre à Paul Gavillet. « Merci vivement, cher ami beau-père, de votre longue lettre et des deux numéros de “Servir”. En effet ce n’est pas du tout le grand herdomadaire romand promis, l’hebdomadaire qui serait équivalent à la “Weltwoche” (pour la Suisse romande !) […] Je suis à Courtètelle sur la ligne Délémont – Porrentruy. Nous sommes en état de guerre selon la formule. Cela signifie que nous occupons sans cesse, de jour et de nuit, les pièces et les appareils. C’est un service de garde pénible. Il pleut sans discontinuer et je suis à moitié crevé de rhumes, rhumatismes. C’est un service dégoûtant. Il faut dire encore que nous creusons pour enterrer entièrement nos canons, le télémètre, l’appareil directeur. Creuser dans cette boue, c’est démoralisant. Et nous ne savons jusqu’à quand cela va durer. Mon moral traîne par terre. Et je ne sais quand j’aurai congé (voilà 1 mois que je […] n’ai décroché de cette vie !) Je vous écris mal, sur une planche. J’embrasse tout le monde / Georges / P.S. Il faut dire que nous couchons dans des trous creusés à côté des pièces. C’est humide et froid. » 27 septembre. Carte postale à Pierre-Olivier Walzer, en campagne. « Mon très cher Pierrot, il paraît que tu sais déjà, par Pour, que je ne suis pas démobilisé et près de ta famille, de ta ville ! à Curtetelle qu’on est ! […] Et les Portes ? Et de Gaulle et Fifon ? / Et surtout ces photos du mariage dont j’aimerais ravir mes yeux et mes souvenirs. »

Fin octobre. Se trouve à Fribourg, démobilisé.

Novembre. Quitte la “LUF” à Fribourg pour la “Librairie Française” à Zurich, sur ordre d’Egloff, patron des deux librairies. 29 novembre. Lettre à Yoki de Zurich, en-tête de la Librairie Française. « Au fond, tout est plus difficile ici qu’à Fribourg ! Plus de travail, des minutes perdues dans les trams, des invitations qu’on ne peut refuser, des collègues toujours derrière vous, décidés à nous faire les honneurs d’une ville que je n’aime pas, une visite à Irma qui dort, ma paresse insurmontable, voilà les raisons de mon silence. […] J’attends avec impatience le retour à Fribourg. Mais je ne rentrerai pas avant fin janvier. Atroce nouvelle. » En réalité, il y restera jusqu’en mars 1946.

17 décembre. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Zurich. « Chère Simone, cher Pierrot, / J’ai de sérieux remords avec vous. Et pour vous le montrer, je vous écris, un mot bien court, pendant la plus pénible époque du libraire. […] J’aimerais que Pierrot m’envoie encore le Corinna Bille que je n’ai pas reçu. Je suis bien le dernier qui parle de ce roman et cela est risible. […] A Noël, je serai à St Saphorin 3 jours 24-25-26. J’irai voir les de Grandi. Si Pierrot a quelque chose à me faire faire pour les éditions, là-bas ! Je serai peut être, là bas, le 1-2-3 janvier aussi. Vous y verrai je ? »