1948
Année des 34 ans, d’un travail dans un laboratoire pharmaceutique, de l’emménagement à Sèvres en juin où il restera jusqu’en février 1951, de la première évocation dans la correspondance à sa mère de Simone Favereau, compagne pour quelques années.
Janvier. À Lausanne, chez sa mère. Pense avoir terminé Le Préau. Récupère tableaux et radio qu’il avait laissés au château de Glérolles. 2 janvier. Lettre à Gustave Roud. 5 janvier. Rencontre Gustave Roud à Lausanne. 13 janvier. Lettre à sa mère de Paris, rue de Verneuil. « Me voilà rentré ! Je suis heureux de retrouver ma chambre, mes livres, mes habitudes, mais ne crois pas que je me sois tout à fait ennuyé avec toi. En réalité la vie à Lausanne et en Suisse, en général, n’a plus aucun rapport avec celle que mènent les pays qui ont été bouleversés par la guerre. Ce n’est pas ma faute si je préfère l’inquiétude à cette suffisance helvétique. Puis nous sommes très différents l’un de l’autre. Moi je suis tout à fait libéré des préjugés bourgeois, toi, et ce n’est pas de ta faute, malgré ta bonne volonté, encore toute imprégnée des réflexes du milieu dont tu as fait partie. Mais j’ai été très heureux de passer 3 semaines de parfaite insouciance où j’ai été dorloté, bien nourri et soigné. Je t’en remercie du fond du cœur. […] Je n’ai pas encore revu les amis sinon les Humeau et Ben, toujours aussi charmants et affectueux. Ils t’envoient leurs meilleures salutations. / La Seine est extrêmement haute et les jardins des berges sont dans l’eau. Il pleut encore et le temps est si doux que l’herbe du jardin des Tuileries est verte comme au premier printemps. Je suis bien inquiet. » 21 janvier. Lettre à Pierre-Olivier Walzer. « Enfin ! Un mot de toi, de vous ! Bien sûr que le silence ne signifie point l’oubli, mais il devient une habitude de surveillance de sa spontanéité, de ses sentiments, par conséquent le pire signe du vieillissement. […] Mon voyage italien fut une découverte chaleureuse. Il faut dire que je suis tombé sur l’époque des canicules, mais j’ai appris à aimer, si je le mesure à mon regret d’en être privé, le soleil, le dieu qui vous monte à la tête et qui, là-bas, m’effondrait sur une couche où tous désirs même étaient brûlés à l’origine. […] J’avais rejoint des amis italiens à Bocca di Magra sublime plage sans mondains. C’est là-bas que j’ai entamé cette première tranche de ma vie d’écrivain qui se veut modeste. Mon récit, à peu près terminé, s’appellera le PRÉAU. Il est, bien sûr, autobiographique, délicieusement bête comme l’adolescent que je traîne derrière moi depuis un quart de siècle. C’est gentil, Pierro, de croire à mes dons. Je crois, surtout, aux tiens. Alors ? Qu’est-ce que tu fais ? / Mille fois béni soit le jour où j’ai pris le train pour Paris ! quoique ce ne soit pas un bistro que je sois venu chercher ici, il faut bien admettre que cela m’a sauvé, non le bistro, mais Paris. Les Egloffades et bataillardes ont presque, avaient presque fait de moi une pelotte nerveuse où ces messieurs piquaient leurs épingles. Je les emmerde ici et mon sourire quand je les rencontre est supérieur, cette fois, je ne leur dois rien. / Pour la matérielle, la vie est difficile mais ça va. A part des chaussettes trouées que je ne sais pas ravauder – il faudrait prendre femme ! – aucun signe extérieur de la pauvreté, si bien que je n’y crois pas mais il faut ruser avec elle. »
10 février. Letttre à sa mère de Paris. « Actuellement mes finances ne vont pas très bien et je n’ai pas de travail en vue. Sinon une place de 6 mois chez un médecin, mais au Maroc. Je crois que si je n’ai pas la possibilité de trouver quelque chose qui me retienne à Paris, il me faudra accepter cette situation marocaine. Mais de faire ce voyage ne me tente guère pour l’instant, car je commence à m’introduire assez bien dans les milieux qui me conviennent, à Paris. »
2 mars. Lettre à sa mère de Paris. « J’ai une bonne nouvelle à t’annoncer, dès la mi-mars je suis engagé dans un laboratoire pharmaceutique. Cela me prendra 3 à quatre heures par jour. J’aurai un fixe et je suis sauvé. […] Je t’envoie cinq photographies de moi prises à Carrare, en Italie. » 19 mars. Naissance d’Achille Chappaz, deuxième fils de Corinna et Maurice.
1er mai. Lettre à sa mère de Paris. « Je suis un peu honteux d’être resté si longtemps sans te donner des nouvelles mais j’ai entrepris un travail dans un laboratoire de produits pharmaceutiques et cela a bien troublé ma vie habituelle, mais je suis heureux d’avoir un fixe qui, sans me mettre dans l’abondance, me sort des soucis trop cuisants. […] Les amis vont bien, à part Parrot qui ne progresse pas. […] ils t’aiment bien ainsi que les Tardieu qui se rendent souvent à Villiers-sous-Grez. Je les ai rejoints à Pâques avec Philippe Jaccottet. C’était merveilleux au printemps, rempli de violettes et de pervenches. […] Pour tes vacances d’été, j’éspère que tu viendras en France. Je pense aller les passer en Bretagne ou sur les bords de l’Atlantique. Tu me rejoindras si tu le veux. »
18 juin. Lettre à sa mère de « SÈVRES / 3, rue Nungesser et Coli / (Seine et Oise) ». « J’ai été longtemps avant de recevoir du courrier à ma nouvelle adresse, mais, hier lundi, je recevais ta carte et ta longue lettre. […] Mais que c’est délicieux d’habiter à la fois tout près de Paris et à la campagne. L’inconvénient est justement que le courrier met autant de temps à venir que s’il devait atteindre un bled dans le Rio del Oro. / J’aurais une chambre pour toi quand tu viendras. Ce sera délicieux. Des ouvriers m’installent le gaz et nous pourrons faire la popote chez soi. C’est à tel point économique. / Je suis sur la piste d’une location éventuelle, pour cet été, d’un premier étage de villa près d’Arcachon. Je fais l’impossible pour que ça réussisse. C’est evidemment très difficile. Mais si nous ne pouvions aller à la mer, nous irions en Provence, près d’un fleuve pour que je puisse m’y baigner. La mer semble être la grande marotte parisienne. / Je ne sais pas encore au juste quand mon laboratoire me donnera mon congé annuel, mais ce sera dans le courant d’août, assurément. » 20 juin. Lettre à sa mère de Sèvres. Travaille à son roman.
18 juillet. Lettre à sa mère de Sèvres. « C’est un peu tard le 20 août, ne trouves-tu pas ? En septembre, je travaille de nouveau à mon laboratoire et j’aurais infiniment moins de temps pour toi. » 24 juillet. Carte postale à sa mère de Reims.
1er août. Lettre à Gustave Roud de Sèvres. Conservée au CRLR. « Alors, vous n’êtes point venu à Paris ! Je le savais. Vous êtes ce petit homme de bois du baromètre qui veut bien sortir pour indiquer le beau temps, mais qui est retenu par le petit mécanisme de la boîte et rentre sous le toit. / Mais, cet automne, coupez le fil et venez ! Nous serions si heureux quelques amis que vous savez, de vous avoir parmi nous pour nous bien montrer que la poésie et l’authenticité ne sont pas seulement de Paris, mais qu’elles y viennent pour s’y risquer et parfois s’y perdre. / Je ne vais point en vacances cette année et resterait, dans ma banlieue chaude comme un fer à repasser, pour y terminer le Préau. A ce propos, quelle est la date limite du concours de la Guilde ! / J’apporterai cette mauvaise histoire moi-même à Lausanne, cet automne. Nous nous verrons, j’éspère, je le veux. / Ce petit signe ressemble au zézaiement des mouches à mes vitres que la chaleur appelle et que je trouve sous le balai, chaque jour, impressionnante hécatombe des étés citadins. Mais mon jardin bâtard est le lieu de passage d’un défilé de scarabées noirs que le chat (que vous aimerez !) dévore avec crainte, en prenant, relachant sa proie, boitante et crevée. / Je vous serre la main affectueusement / GBorgeaud ». 10 août. Lettre à sa mère. « chère Maman, je serai à la gare, mercredi matin [18.08]. Je préparerai ta chambre et nous passerons de bons jours ensemble. » 23 août. Lettre à Pierre-Olivier Walzer. « Mais j’irai en Suisse, je pense, cet automne. […] Je t’écris un mot rapide parce qu’un copain m’offre 5.000 frs. pour la lettre de Claudel que je t’offrais aussi. Je ne veux pas la lui passer sans t’informer car je trouverai moche de t’en priver si tu la désires encore et surtout, si tu ne trouves point le prix trop haut. Mais nous deux nous nous arrangerons toujours. »
Septembre. Dans les Ardennes chez son ami André Viot, à Blombay-Blombizeux, pour y travailler sur Le Préau. 15 septembre. Lettre à sa mère de Blombay-Blombizeux. « Je travaille bien ici, mais quel mauvais temps ! D’autre part, je mange trop et me fatigue l’estomac comme en Suisse. J’ai même une poussée de fièvre urticaire. […] Mon travail, comme je te le dis, avance et je serai prêt pour la fin de ce mois. Je me précipiterai à Lausanne et prendrai dix jours pour le dactylographier. Ensuite à la grâce de Dieu ! / Mes amis Viot ont voulu me donner un chat pour remplacer Fifre, mais, hélas, il n’a point l’esprit et le charme du petit blanc. Elevé dans une ferme, il est sauvage et malpropre. Je ne sais si je l’emporterai à Sèvres. J’éspère que d’ici là il se perdra et ferai l’effort nécessaire pour qu’il s’égare. Je préfère n’avoir aucune bête là-bas qu’un mauvais chat. / Nous nous laissons poussé [sic] la barbe, André Viot et moi, c’est drôle, mais nous la couperons pour rejoindre Paris. » 23 septembre. Lettre à sa mère. « Blombay-Blombizeux / jusqu’au 27 septembre / — / Ma chère Maman, Humeau qui est venu à Blombay m’a raconté que tu avais dû aller dormir à l’hôtel de l’Académie, n’ayant trouver personne à Sèvres. J’en suis navré ! Tu vois que j’aurais bien fait de te donner un trousseau de clefs. J’éspère que tu n’as pas eu trop de frais. Erba me dit qu’il n’a jamais bougé de la maison, c’est vraiment mystérieux. / Mon séjour ici va s’achever dans quelques jours. Je m’y suis fait un bien énorme et j’ai fini mon manuscrit, sauf qu’il me faudra 5 jours pour le corriger en Suisse et dix pour le copier à la machine. / J’irai le corriger chez Bosshard, je pense et viendrai à Lausanne le recopier. Peut être me faudra-t-il trouver quelqu’un qui veuille bien me donner un coup de main. […] Je partirai assurément la nuit du 30 septembre au 1er octobre […] Je te laisse aujourd’hui car le travail m’attend, mais comme je le dis, c’est à peu près terminé, autant qu’on puisse le dire avec un manuscrit. »
Octobre. Passage chez Gustave Roud avec Philippe Jaccottet, d’après la lettre de G. Roud à M. Chappaz du 3 novembre 1948 : « Vous m’aviez, de Fully [le 20 octobre], chargé de messages pour Borgeaud et Jaccottet. Votre présent m’est parvenu le lendemain de leur visite à Carrouge, et Borgeaud devant repartir en France ce lendemain-là justement, je n’ai pu lui transmettre votre salut encore – ce que je ferai sous peu en lui écrivant à Paris. Borgeaud nous a lu le premier chapitre de son roman : Préau – dont j’aime le ton très juste et que je me réjouis de lire en entier. » 23 octobre. Lettre à sa mère de Sèvres. « Mon voyage a été excellent ! […] Les Vaudou vont me passer un fourneau à bois et je vais en faire venir, du bois, 500 kgs. et ne chaufferai que la petite chambre. […] Je suis allé au vernissage de Germaine Richier. Il était fort select et l’exposition est belle. Mon buste y est exposé ! Me revoilà à Paris ! J’en suis heureux. J’aime ces pierres, ces perspectives, ce climat parisiens. Je vais faire mon possible pour trouver du travail à la radio. […] J’ai vu les ducloux hier au soir seulement. Ils ont l’intention de quitter Sèvres. Ce serait merveilleux si je pouvais avoir toute la maison. Mais ne vendons pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué. / Tu as lu, je pense, la mort tragique de Salou. Marianne Oswald est deséspérée. Des amis d’Auteuil l’ont prise chez eux de peur qu’elle ne fasse des folies car entre Salou et elle, il existait une grande amitié. / As-tu déjà vu mme Jaccottet ? Les Parrot ne sont pas à Paris, aussi j’attends leur retour pour les payer. / Je te remercie encore profondément d’avoir bien voulu me nourrir pendant mon séjour vaudois. L’année 1949 sera une bonne année pour moi, je l’espère. Je souhaite que tu trouves l’âme sœur, dans tous les cas une situation où tu puisses gagner plus largement ta vie et plus finement qu’en donnant la pension. […] J’ouvre ma lettre pour t’annoncer la mort de Louis Parrot. Quelle tristesse pour Denise ! Je vais la voir demain. »
2 novembre. Lettre à Gustave Roud. Conservée au CRLR. Fin novembre. Lettre à sa mère. « Il fait très froid à Sèvres et je me chauffe avec du bois de rebut. Puis je cherche deséspèrement du travail et ce n’est point facile. […] Jean Tardieu va probablement me faire travailler à la radio. »
13 décembre. Lettre à sa mère. « Je vais passer mes vacances de Noël à Bergerac où Simone Favereau m’invite très chaleureusement. J’ai eu, hier dimanche, la visite de Denyse Parrot à Sèvres. Il ne faisait pas trop froid et j’ai pu chauffer un peu dans une grille à bois, à charbon plutôt. Je suis heureux de n’être pas trop isolé ce jour là, mais je ne révèle à personne mon départ pour éviter les bavardages car Denyse sera là aussi et les gens sont si mesquins qu’ils pourraient inventer des histoires. » 22 décembre. Se trouve à Bergerac où il goûte pour la première fois la baragane (« poireau sauvage qui pousse dans le vignoble du bordelais et plus particulièrement du St. Emilion et Bergerac »), d’après un carnet de cette époque. 27 décembre. Lettre à sa mère de Bergerac. « Je resterai à Nouvel-An encore à Bergerac et irai rejoindre Sèvres au début janvier. »