1951
Année des 37 ans, de l’installation à la rue Froidevaux et à Gordes.
1er janvier. Lettre à sa mère de Sèvres. « J’ai passé mon Noël d’une façon fort banale mais reposante. Je me suis gâté un peu en allant dîner dans un bon restaurant de St. Germain des Prés, le Maïtena. Puis j’ai fini ma soirée, ma nuit plus exactement, dans une boîte de nuit : La Rose Rouge. » 10 janvier. Lettre à Gustave Roud de Sèvres. « Le second livre “La Principauté” avance [qui deviendra La Vaisselle des évêques]. Peut-être qu’à partir de lui, on pourra croire à mon “talent”. » Même jour. Lettre à sa mère de Sèvres. « Une bonne nouvelle : j’ai trouvé un pied à terre à Paris même, deux petits pièces mais sans reprise, avec ascenseur et chauffage central. Je devrais le meubler, le repeindre ce qui sera difficile mais enfin je suis content. Je garde Sèvres afin de ne pas être à la rue si ce petit appartement était repris car le bail n’est pas à mon nom. Je tâcherai de l’arranger très bien. Il est placé à côté du cimetière Montparnasse et de la fenêtre j’ai vu sur le cimetière et tout Paris. Peut être seras-tu heureuse d’y loger quand tu viendras à Paris. Je le partagerai avec Jaccottet ce qui nous permettra d’être plus libres. Puis un jour, j’éspère trouver dans Paris un vrai appartement. » 29 janvier. Lettre à sa mère de Sèvres. « J’ai mon petit appartement parisien qui est charmant quand il sera repeint ce sera le rêve mais je dois trouver l’argent pour l’arranger. Si je recevais les défraiements Bosshard, je serais sauvé. […] Nos amis du livre chrétien ne marchent pas fort et nous sommes en train de discuter pour savoir si nous allons continuer. Ce serait une catastrophe pour moi et il faudrait recommencer à chercher un gagne-pain. Mais enfin, rien n’est encore fait. »
22 février. Lettre à sa mère de Sèvres. « Ma chère Maman, mon passage rapide à Lausanne m’a valu de bonnes et douces choses […] Quel travail m’attendait ! Sapajou a fait de la neurasthénie pendant mon absence mais il s’est jeté sur le saucisson vaudois. […] Donne-moi de tes nouvelles et tâche de trouver des amis afin de sortir de ta solitude. Il me semble que de plus en plus tu fais le vide autour de toi à cause d’un esprit critique trop développé. Enfin, je te le dis sans méchanceté. »
28 mars. Lettre à sa mère de Paris, rue Froidevaux. « Ma bien chère Maman, je suis enfin, installé à Paris ! Je l’ai fait dans les pires conditions, dans les pires soucis de tous ordres. Mais je suis à Paris. Il me semble que je supporterai mieux là qu’à Sèvres les ennuis inhérents à l’existence que je mène. / Mon appartement, si je puis parler d’appartement pour deux petites pièces, domine le cimetière Montparnasse et tout Paris. Je crois que je vois, de ma fenêtre, tous les monuments les plus célèbres et que je pourrais de mon balcon faire un cours d’histoire française et d’architecture. Tu verras cela en mai si tu viens. / Philippe s’est installé dans son atelier de la rue Campagne-Première. Ce n’est évidemment pas comparable à ce que j’ai mais une fois repeint, cela ne sera pas si mal. Je te remercie pour la plaque de chocolat que tu lui as donnée pour moi. […] Tu sais qu’Alix Guillain, la chère vieille femme chez qui l’on avait mangé tous les deux, est morte il y a cinq jours et que les grèves de transports m’ont empêché d’aller à son enterrement au Père Lachaise. […] Je l’aimais beaucoup malgré qu’elle fût communiste car il y avait en elle une bonté tout à fait évangélique et une intelligence remarquable. Cette mort me fait beaucoup de peine. / Pour Pâques, je suis resté à la maison sauf qu’avec Philippe nous sommes allés aux Courses d’Auteuil, prix du Président de la République. Il faisait beau mais froid et Philippe a beaucoup de chances à la mise. Quant à moi, je me suis abstenu de jouer car avec mon déménagement, mes mois seront pendant longtemps difficiles. Philippe m’a offert deux fois un cheval qui, hélas, n’était que des rosses. »
20 avril. Lettre à sa mère de Paris, rue Froidevaux. Dans la correspondance avec sa mère, première apparition d’un tampon (encre) sur une ligne « 59, Rue Froidevaux, PARIS-XIVe ». « Je suis si heureux d’être à Paris et si mon appartement est petit, il n’en est pas moins charmant et je le décore à mon goût. La vue que j’ai sur tout Paris est sensationnelle et vaut en elle-même une fortune. […] J’ai mangé hier avec Henry Louis Mermod qui a été très cordial avec moi. Jaccottet était avec nous. nous avons mangé dans un restaurant de gourmet qui ne paie pas de mine, du côté des Halles. »
9 mai. Lettre à Gustave Roud de Paris, rue Froidevaux. Conservée au CRLR. Annonce la parution du Préau pour septembre. 15 mai. Lettre à sa mère de Paris. « Très chère Maman, je passe actuellement par une série d’ennuis qui se résument par la perte de ma situation aux “Amis du livre chrétien” qui liquident l’affaire après de difficiles pourparlers. Il reste l’espoir que quelqu’un la rachète mais il s’amincit de jour en jour. J’ai déjà remué les amis afin de me trouver devant une autre situation. Tardieu m’a proposé des émissions radiophoniques, chaque quinzaine. Je me mets au travail ; ainsi pourrai-je attendre jusqu’en octobre, mois durant lequel, et cette fois sans faute, mon bouquin paraîtra. J’ai dû supprimer 80 pages qui, d’une part, étaient en dehors du sujet et qui simplifieront la fabrication même du livre en le faisant moins cher. A ce moment là, la Suisse m’offrira certainement (on me l’a promis) une bourse pour écrire le second bouquin. J’y mettrai moins de temps que pour ce PRÉAU. […] Je n’ai pas vu les Humeau depuis une éternité. Mais je me trouve si bien chez moi. Tu verras que c’est un petit nid idéal. » 29 mai. Lettre à sa mère de Paris. « C’est donc entendu, je viens à Lausanne-Chardonne le 9, 10, 11 juin et M. David est d’accord pour t’emmener dans sa voiture jusqu’à Paris. »
1er juin. Lettre dactylographiée à sa mère de Paris. « Je te remercie vivement de m’avoir mis en relation avec cette Madame Graf à propos de l’achat d’un Renoir. Si cette affaire se fait, nous pourrons alors avoir un peu d’argent devant nous pour ton séjour à Paris. »
10 juillet. Lettre à sa mère de Paris. « A la hâte, ma chère Maman, avant de me rendre au travail afin de savoir si Vallotton t’a remis le livre Braque et si tu l’as redonné à Régamey. L’inquiétude de Roger Louis est grande à ce sujet et je dois le tranquilliser. » 13 juillet. Gaston Gallimard accepte définitivement Le Préau. 15 juillet. Lettre à sa mère de Paris. « Quant à ma nervosité, je pourrais en dire autant à ton sujet mais je ne veux pas réveiller d’anciennes plaies. Ce qui est vrai c’est que je t’ai reçu à Paris avec joie et que je me préparais à de beaux jours mais ta sensibilité, ton intelligence, tes reactions, sont si contraires aux miennes et ta susceptibilité si vive et si imprévisible (au point par exemple que tu n’admets jamais que je te parle de ta belle famille et que je te donne mon avis sur elle etc..) que nous ne sommes pas prêts à trouver un langage commun entre nous. Tu ne tolères pas la franchise sur des points essentiels à nos vies si bien que je suis toujours mal accueilli. Nos relations ne sont pas de fils à mère mais toujours de chat à souris et cela en grande partie par ta faute. Nous aimerions nous rapprocher mais tu ne fais aucun effort de mon côté, croyant toujours que je veux t’attaquer et ayant horreur que l’on puisse te juger. Tes jugements sur les autres sont si fréquemment injustes, faux que je ne suis pas étonné de te voir vivre dans un profond isolement. Mais je ne veux pas allonger ce mot car il est inutile que je tente d’expliquer des faits que tu es la première à vouloir qu’ils soient négatifs. Dans ta lettre, lorsque tu fus de retour à Lausanne, il n’y a pas un mot de remerciement pour moi. Même si ton voyage ne t’a pas satisfait, un simple merci qui n’aurait pas ménagé la critique, m’aurait fait plaisir. Mais il n’y avait rien. Pourtant ce séjour n’a pas été en tous points malheureux, il me semble. Tes qualités sont très grandes, ta générosité absolue. Il faudrait que tu sois moins intransigeante dans tes jugements et plus souples et surtout plus éclairés. Tu es un peu aigrie. Moi je ne le suis pas alors que j’aurais, comme toi, des raisons de l’être.. / Je t’embrasse Georges » 27 juillet. Signature du contrat d’édition pour Le Préau. Demande immédiatement une avance sur les droits d’auteur.
Août. S’installe à Gordes, dans une maison que lui prêtent des amis (les Louis). 13 août. Lettre à sa mère de Gordes. « Ma chère Maman, Je te remercie pour tes vœux d’anniversaire. J’aurais aimé y répondre avant mon départ de Paris mais j’ai eu tellement à faire alors, que je craignais même de ne pouvoir partir pour le 1er août. Arrivé ici, je me suis trouvé en face d’une tâche ardue, celle d’aménager une maison depuis 15 ans abandonnée. Je viens de terminer après avoir chaulé 3 pièces, trouvé des meubles autour de moi. C’est le premier jour de paix véritable. Les Bosshard, de plus, sont ici et naturellement je perds mon temps en bavardages d’ailleurs agréables. Et les vacances sont bien faites pour y perdre du temps. / Le pays est fort beau bien qu’un peu abandonné. Avignon est à 35 kilomètres et le bourg le plus important, Cavaillon terre à melons, à 15 kilomètres. J’aime le climat. Alors qu’en Suisse les catastrophes semblent fondre sur le Tessin et les Grisons, le beau temps, ici, continue et la température n’est pas trop élevée probablement à cause des perturbations atmosphériques qui nous entourent et ne nous atteignent pas. un jour quand je serai installé un peu mieux tu me rejoindras pour mes vacances. […] J’ai signé mon contrat Gallimard et mon bouquin paraîtra enfin cet automne. Je pense rester ici jusqu’au 15 septembre et remonter ensuite à Paris. »
25 septembre. Lettre à sa mère de Gordes. « Ma chère maman, le pays vous inocule une paresse sans pareille. J’allais t’écrire avant l’arrivée de Jaccottet et ne l’ai point fait. Je voulais le faire après et malheureusement il m’est arrivé un accident qui n’est pas grave en fin de compte mais qui aurait pu fort mal tourner. Je te le raconte justement parce que rien de grave ne s’en est suivi. […] Jeudi dernier, après un succulent repas de baptême, nous sommes allés quelques-uns, dont Philippe, visiter un château en ruines célèbre. J’ai commis la bêtise d’escalader un mur à peu près défait pour atteindre la cour d’honneur au château quand la pierre que je tenais, s’est descellée et je suis tombé en arrière sur un amas de pierres que je suis descendu sur le dos longtemps. Quand je me suis arrêté j’ai compris que je l’avais échappé belle mais je souffrais d’assez fortes contusions et d’un doigt littéralement écrasé par une pierre qui dévalait. […] Cela retardera mon retour à Paris où je n’arriverai, je l’éspère, que le 5 octobre. Mais n’aie aucune inquiétude. »
18 octobre. Dans les Nouvelles Littéraires, article « A Paris et ailleurs », sous-titre : « Sadisme ». « L’écrivain suisse Georges Borgeaud, qui va faire paraître prochainement son premier roman : Le Préau, se promène actuellement à Paris en s’appuyant sur une canne et en maudissant le marquis de Sade. Visitant en effet cet été, à Lacoste, le château du marquis, il fit, à peine arrivé au sommet des ruines, une chute malencontreuse, se cassa une côte, se foula la cheville, s’évanouit et se retrouva sur la place de Lacoste ; une doctoresse versait sur ses plaies un alcool brûlant, Borgeaud hurlait et elle lui disait en guise de consolation : – Prenez-en votre parti, vous êtes au pays du marquis de Sade ! » 22 octobre. Lettre à sa mère de Paris. « Je suis rentré à Paris il y a une quinzaine […] je boîtais encore […]. Je n’ai plus le travail de secrétariat des « Amis du L.C. » [Livre Chrétien] l’affaire ayant déposé son bilan. Il me reste l’espoir de voir mon livre sortir prochainement et d’avoir quelque succès. Jean Tardieu m’a proposé 3 séries d’émission sur la Suisse que je vais enregistrer pour janvier 1952. D’ici là je vivote avec l’argent que j’ai pu retirer de ma location de Sèvres. Que l’existence est pénible ! »
2 novembre. Lettre à sa mère de Paris. « Je vais faire des émissions sur la Suisse Romande au Club d’Essai. […] Mon livre est, enfin, en fabrication chez Gallimard. Je n’attends plus que cet événement. / Philippe est gentil avec moi. Il m’a fait inviter […] chez la Princesse Caëtam de Bassiamo grande mécène des hommes de lettres. Cela pourra me permettre de travailler un peu pour elle et d’enrichir mon pauvre ordinaire. / Je suis invité à Pâques, à Berlin, voyage payé jusqu’à Francfort. J’habiterai la zone soviétique. Rien n’est à craindre car je serai chez un diplomate suisse. J’entreprends déjà les démarches pour ce voyage. Il sera plus qu’intéressant. »
4 décembre. Lettre à sa mère de Paris. « Le temps passe atrocement vite. Paris m’absorbe ainsi que mille soucis. Je n’ai guère de nouvelles sensationnelles à te donner, sauf que mon livre sera mis en vente en février-mars 1952. Jusque-là, je vivote et, peut-être, vivoterai-je ensuite et toujours. Mais j’éspère, cependant, un succès. […] Les Bosshard sont à Paris. Le peintre expose chez David. Il semble avoir quelque succès, en tout cas d’estime. Le vernissage était brillant, avec Ministre de Suisse et toutes les anciennes copines de Touli. » 12 décembre. Lettre à sa mère de Paris. 25 décembre. Lettre à sa mère de Paris. 28 décembre. Lettre de Gallimard annonçant la mise en fabrication du Préau.