1952

Année des 38 ans, de la parution du premier livre, du prix des Critiques, de la rupture avec Simone, de la première mention de Paule, compagne pour une ou deux années.

12 janvier. Lettre à sa mère de Paris. «  … j’ai passé la veille de Noël chez David où le réveillon fut de grande classe et de grande qualité. […] Le lendemain à déjeûner, je me suis rendu chez les Louis qui ont été charmants comme toujours. Pour Nouvel-An, Simone F[…] qui est décidément bien tenace m’a envoyé l’argent du billet pour que je rejoigne sa famille à Bergerac. Je n’ai pas pu faire autrement que d’y aller. J’ai attrapé là-bas une grippe bien tassée, avec fièvre et rhume. Il était fort agréable d’être soigné par trois femmes et pour la première fois de ma vie, autant qu’il m’en souvienne, j’ai eu le dos planté de ventouse. / Je suis rentré à Paris lundi dernier à peu près remis et j’attends de pieds fermes, l’évènement capital de mon existence parisienne : les premières épreuves de mon livre le Préau qui sortira, cette fois, en février-mars pour ma plus grande gloire ou ma plus grande perte. J’éspère que cela m’amènera des propositions alléchantes de journaux suisses qui me paieront bien et me débarrasseront de mes soucis financiers qui commencent à me taper sur les nerfs. » 26 janvier. Lettre de Pierre, de Robion (Vaucluse, près de Gordes). «  Bien cher ami, / Les meubles sont bien rentrés, mercredi le camion a fait le livraison. Tout est en état et je ne pense pas qu’il y ait eu de la casse tout étant très bien emballé. / Quand vous viendrez nous tacherons de trouver un petit vehicule pour pouvoir les transporter à Gordes, car notre camion étant trop gros je ne pense pas que nous puissions passer par les petits chemins. » 28 janvier. Lettre à sa mère de Paris. «  … j’ai la semaine dernière et la précédente corrigé, enfin, les épreuves de mon bouquin qui sortira dans le courant de février. C’était un long et pénible travail car il ne fallait laisser passer aucune faute d’impression ni aucune faute personnelle puisque cette version sera la définitive et celle qui sera mise dans le commerce. »

13 février. Lettre de Gallimard demandant la révision des épreuves des 176 premières pages du Préau. 15 février. Lettre de Jean Dutourd demandant un texte d’une dizaine de lignes résumant l’intrigue du Préau, un texte de cinq ou six lignes résumant sa philosophie, des projets de bande et une courte notice bio-bibliographique. 18 février. Lettre à sa mère de Paris. «  Je ne sais plus ce que je deviens ces jours-ci ! Gallimard qui tout à coup, se précipite d’éditer mon bouquin, me demande toutes éspèces de travaux : biographie, bibliographie, prière d’insérer, lettres de libraires, corrections des dernières épreuves, de quoi devenir maboul. / Mais dans un mois le livre sera dans toutes les vitrines et en Suisse. Je suis bien inquiet des réactions de la critique. Il paraît que Jaccottet écrira dans la Nelle. revue de L. Je compte aussi sur un article de Gustave Roud. on me dit, à Paris, que Mauriac serait prêt à s’intéresser à mon livre et s’il l’aimait à en parler. enfin, je remue un peu mes connaissances pour que ce livre ne tombe pas dans un silence mortel. La belle Corinna Bille m’a fait savoir qu’elle était très “heureuse” que je publie chez Gallimard, que cela lui donne raisons devant ceux qui lui prétendaient que je ne ferai[s] jamais rien. Elle avait confiance, dit-elle ! C’est son frère René-Pierre qui est venu me conter ce genre de compliments qui me fait une belle jambe et que je trouve, pour ma part, tardif. Enfin, je fermerai le bec à pas mal d’imbéciles suisses qui faisaient la moue sur mes talents. Il paraît que Maurice Chappaz n’en dort plus. Oh ! ce que je souris dans ma barbe ! / Gallimard va me donner une avance, je pense, qui me permettra, peut-être, de venir passer quelques jours à Chardonne, chez les Bosshard qui m’invitent. Mais, peut être que je préférerais aller passer mes vacances de Pâques dans ma maison de Gordes où je pourrai travailler en paix. Je viendrai en Suisse quand, enfin, on parlera un peu de moi. / Voilà quelques nouvelles ! Je ne vais pas mal et étant bien chauffé, je ne souffre pas du froid. Je suis un traitement chez un dentiste. J’en avais bien besoin. Il n’y a rien de plus humiliant que d’avoir une dentition malsaine. On a des complexes d’infériorité. » 20 février. Lettre de Jacques Festy, responsable de fabrication chez Gallimard, regrettant d’avoir été averti trop tard de la dédicace à Gustave Roud ; il propose de la faire figurer au faux-titre de la première partie, car la réinsérer entraînerait une repagination complète du livre bien trop onéreuse. Même jour. Brouillon de réponse à la précédente. «  Cher Monsieur Festy, je ne me sens pas trop fautif vis à vis de cette dédicace à Gustave Roud car je vous en ai parlé la première fois que je vous ai vu à la nrf. Vous m’aviez demandé alors de vous confirmer la chose en vous indiquant les premières corrections importantes que j’avais décidées de faire au cours du bouquin. Les placards alors n’étaient pas composés. / quand je les ai reçus, je n’y ai point vu la dédicace mais avec mon inexpérience de l’édition, je me suis imaginé qu’elle serait composée avec la couverture et le titre. Cependant par un reste de scrupule, je me suis permis de vous la rappeler en vous remettant le bon à tirer. Si je vous explique tout cela, c’est pour me disculper un peu. Mais vous pensez bien qu’il n’y a aucune mauvaise humeur chez moi et que je comprends très bien cet oubli. J’apprends, moi aussi, à être plus clair. / Je ne puis pas omettre cette dédicace, promise et importante. Comme il faut éviter des frais, je pense que la solution que vous me proposez est la meilleure et je vous fais confiance. Merci. […] Je vous redis mon estime et ma gratitude pour votre patience. » 22 février. Avance de Gallimard de 50.000 francs, «  à valoir sur les droits d’auteur de votre prochain roman “LE PREAU” ». 24 février. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Paris. «  Aïe ! Aïe, mon cher Pierrot, c’est couvert de cendres, les joues humides de larmes et rouges de la plus grande honte que je me présente devant toi, ami de toujours maginifique ami dont le Toulet m’a ravi et [à qui] je n’osais plus parler à cause des 5.000 frs. qui devaient payer [la lettre de] Claudel et qui m’ont été, alors, d’un grand secours à l’époque pauvre, plus que pauvre d’alors bien que l’aisance ne soit pas là, loin de là. / Bon ! Il n’y a pas, il n’y a plus de lettre Claudel. Tu me croiras pas, mais on me l’a volée. Qui ? Je crois le savoir mais je me tairai. Il me restait alors le devoir de te le dire et de te rembourser mais te rembourser ça aurait été affreusement difficile. Voilà ma politique d’autruche. / Mais l’amitié n’a pas changé. / Voilà donc ce que je te propose pour effacer cette dette car aujourd’hui je puis effacer cette dette. Tu me diras franchement si tu acceptes mon marché. / Dans 15 jours mon PRÉAU sort chez Gallimard. Il existe des exemplaires de luxe qui n’iront pas au-delà de 3000 frs. Ce n’est donc pas suffisant mais voilà mon idée : Gallimard m’a remis un jeu d’épreuves corrigés de ma main (nombreuses corrections révélatrices et géniales ! ? ! ? ! ?). Je ferai relier ces épreuves, je ferai dessiner une couverture et je te réserve cet exemplaire rare, unique qui, dans 500 ans se vendra 2.50 frs. français ou un million. nous ne savons pas les perversités de la postérité. J’aurais éffacé ma grivèlerie. / Dis-moi si tu es d’accord et / PARDONNE-MOI. / Je n’ose rien écrire de plus. / Je te serre la main à toi, la tienne et celle de ta femme. / On se reverra, n’est-ce pas ? GBorgeaud. »

18 mars. Lettre à sa mère de Paris. «  Ma chère Maman, j’ai eu en mains mon livre que tu vas recevoir prochainement. Ça-y-est, cette fois ! […] Oui, la sortie de mon livre est un évènement qui peut résoudre bien des problèmes douloureux et financièrement douloureux comme il peut aussi ne rien déclancher mais je ne veux pas trop y penser. Le plus heureux serait de recevoir un prix mais cela est aléatoire. […] Je pense trouver l’argent pour aller soit à Gordes, soit à Lausanne pour Pâques. Si je vais en Suisse c’est pour présenter mon livre au rédacteur de la Gazette et pour parler un peu de moi à la radio. Bosshard me recevra à Chardonne. »

2 avril. Lettre de Jacques Festy, responsable de fabrication, au regret d’annoncer que les trop nombreuses corrections sur épreuves ont entraîné des coûts qui seront défalqués sur les droits d’auteur. 4 avril. Achevé d’imprimer du Préau. 11 avril. Séance de signatures à Gallimard pour le service de presse. 15 avril. Lettre à Gustave Roud de Paris. Conservée au CRLR. GB se plaint du silence de son ami et lui annonce l’envoi de son exemplaire (sur grand papier) du Préau. 25 avril. Lettre à sa mère de Paris. «  Ma chère Maman, si, j’ai bien reçu ta première lettre qui m’annonçait que tu avais reçu mon livre et que tu étais heureuse. D’autre part, j’ai été très touché des fleurs que tu as joints aux deux lettres. Je t’en remercie vivement. / Si je ne t’ai pas écrit plus tôt, c’est parce que la sortie de mon Préau m’a valu bien des témoignages d’amitié et que j’ai sablé le champagne à peu près chaque jour. On me gâte à Paris et je pourrai bientôt t’envoyer des coupures de presse concernant mon bouquin. Il est, en général, fort bien accueilli. Je souhaite à présent qu’il se vende. / Philippe a fait un excellent article que je suis heureux d’avoir pu lire grâce à toi et plus tôt que je ne l’espérais. Cela engagera des lecteurs de la Nelle. R. de L. à l’acheter. / J’aimerais bien venir en Suisse mais il me faut attendre des réactions de presse plus nombreuses et que mon bouquin soit remarqué par la presse française. L’Illustré suisse m’interviewe mardi et me photographiera. Je t’engage à suivre ses numéros. Puis je parlerai bientôt à la radio de Paris. Ensuite, je pourrai songer à venir en Suisse où je me reposerai un peu de l’agitation parisienne. / Hélas, je ne pourrai envoyer à Selka un exemplaire du Préau car je n’en ai plus du tout et tous ceux que je prends chez l’éditeur en supplément, je dois les payer 480– frs. ce qui est beaucoup. Je ne puis pour l’instant faire des cadeaux de cette sorte d’autant plus que mon compte à la nrf est à découvert. »

3 mai. Passe à Saint-Maurice (Valais). 4 mai. Est à Lausanne, chez sa mère. 9 mai. Lettre à sa mère de Paris. «  Qu’est-ce que signifient les ragots de Mme. G. ? […] Que t’a-t-elle pu raconter ? Je sais que je lui ai parlé de mon bouquin d’ailleurs pour répondre à ses questions. A sa demande : est-ce que votre livre est auto-biographique, je lui ai répondu – un peu ! / Alors me disant que j’avais perdu mon père très tôt, je lui ai dit que je ne l’avais jamais connu et que d’ailleurs, je suis un enfant naturel. Je n’ai aucune honte à dire cette vérité d’autant plus que j’ai beaucoup souffert de la façon don’t on m’a toujours caché cette vérité. J’ai horreur du mensonge sur mes origines, des atermoiements, des camouflages. Mais de là à me plaindre (me plaindre de quoi ?) il y a une marge énorme. Je trouve, au contraire, ma situation privilégiée à bien des points de vue. Mais ce que je ne supporte plus, ce sont les mensonges, les histoires autour de mon enfance. Si Mme G. s’est émue, c’est quelle est une sotte, la sotte que j’ai toujours pensé qu’elle était. / Vraiment, pour moi, toute mon enfance est bien derrière moi ainsi que les griefs, les reproches que je pourrais t’adresser. Il fautr vraiment se libérer de cela, Que j’aie eu une enfance douloureuse, ce qui te parait étonnant, c’est vrai mais bien loin de moi et je ne veux plus y revenir. C’est un sujet épuisé et d’ailleurs nous [ne] sommes plus que les deux maintenant, ce n’est point pour nous manger, nous détruire mais pour nous épauler l’un et l’autre, nous aider et essayer d’effacer nos mauvais souvenirs. C’est mal me connaître (et de la part de Mme G. une ridicule réaction à l’exposé de faits précis qu’elle a eu l’indélicatesse de me demander) que de croire que je me plains de toi. Il est trop tard à présent pour revenir sur ce passé. Alors n’est-ce pas, plus de mensonges et que l’affection nous unisse. / Je t’embrasse Georges. / P.S. / Je pense venir en Suisse dans une dizaine de jours. […] J’habiterai chez Bosshard par commodité. » 11 mai. Lettre à sa mère de Paris. «  Ma chère Maman, je viens en Suisse, à Chardonne, ce samedi 17 mai. Je ne pourrai, hélas, pas m’arrêter à Lausanne immédiatement car j’emmènerai mon chat et je ne puis le trimballer trop d’heures, le lâcher dans un appartement où il ferait certainement des saletés après un si grand voyage. Je veux essayer de le laisser en Suisse. » 15 mai. Lettre à sa mère de Paris. «  Ma chère Maman, comme tu le verras sur le Figaro dont je t’envoie la coupure, on parle de moi pour le Prix de la Critique qui sera décerné lundi. Ce serait assez étonnant que j’aie ce prix et surtout, il me rapporterait quelques sous. Mais n’en parlons pas avant la décision ! / Toutefois ce prix éventuel m’empêche de me rendre en Suisse ce samedi, comme je le croyais. Je viendrai mardi si je n’ai point le prix. Si je l’ai, je devrais rester à Paris pour accomplir les corvées inhérentes au succès. » 17 mai. Lettre à Gustave Roud. Conservée au CRLR. 19 mai. Prix des critiques est décerné. 21 mai. Dans une lettre de félicitations d’un cousin de Simone F. à Bergerac, GB est appelé «  futur cousin ». 26 mai. Lettre de sa mère. «  Mon cher Georges / Ton succès te retient longtemps et je comprends celà ; seulement il faudrait que tu viennes lancer ton livre ici aussi, la presse en a beaucoup parler et la Gazette avec manchette (Un Suisse à l’honneur) […] Aujourd’hui je vais au Mont chez les Ménétrey à l’enterrement de Simone sœur jumelle de Pierrot, elle a été malheureuse en ménage et laisse 3 enfants morte d’une grave maladie. Pierrot se réjouit de te revoir il est aussi père de famille 3 enfants. / Ecris-moi au plus vite. J’aurais une chambre de libre pour début juin tu pourrais rester à Lausanne. / Aurevoir mon cher et à bientôt / Je t’embrasse de tout mon cœur / Ta maman » 29 mai. Lettre d’un ancien camarade militaire. «  La lecture de votre nom dans les journaux à l’occasion de l’atribution du “Prix de la Critique” et l’information selon laquelle vous êtes d’origine suisse me poussent à vous écrire […] Si […] vous êtes le Georges Borgeaud que j’ai connu en 1940 à Berne, alors qu’il y faisait son service militaire en compagnie notamment de Pierre Haubrechts, et auquel mon frère Dominique et moi-même avions donné le surnom quelque peu saugrenu de “Queue-de-chat-bleu”, je me permets de vous saluer avec la familiarité à laquelle m’autorisent de vieux souvenirs ». 30 mai. Lettre de William Speiser de Bâle (chez qui GB a habité de la mi-mars à la mi-juillet 1939). «  Mon cher Georges, / alors voilà une heureuse rencontre apres tant d’années de séparation, vous souvenez vous encore de moi et de notre vie commune avant la guerre, je crois qu’on s’est vu la dernière fois un beau soir d’été ou vous habitiez une chambre romantique au Chateau de St. Aubin. Vous étiez ce soir dans un état assez triste et j’ai compris votre situation…… mais laissons le passé. Entre temps vous avez disparu de Bâle, mais je pensais quand-même souvent à vous, et voilà comme je vous retrouve ! / Il y a quelques semaines en passant devant Payot j’ai remarqué un livre d’un Georges Borgeaud et me suis demandé si c’était vous, voilà que dans le Figaro Litt. dont je suis un fidèle lecteur je vois une photo de cet écrivain et vous avoue que je ne vous aurais plus reconnu. […] Ici rien n’a changé du tout, j’ai gardé ma fidèle servante Mlle. Pusch les années ont passées, mais on prétent que j’ai gardé ma jeunesse et que je suis “bien conservé” Ne parlons pas de la guerre et des soucis que chaqu’un avait et qu’on a encore pour d’autres raisons, ce serait trop long. […] Je n’ai pu savoir votre adresse mais Payot m’a dit de téléphoner à Mad. Meister dont le fils aura la bonté de vous transmettre ma lettre, vous n’habitez pas loin l’un de l’autre. »

4 juin
. Lettre de Jacques Festy annonçant la fin de la réimpression du Préau. 5 juin. Lettre de Pierre, de Robion. «  Oui le livre est bien arrivé et nous vous en remercions mais, ne voyons pas l’auteur que nous attendions à Paques ou Pentecote. […] Prevenez nous quand vous descendez de venir, nous irons vous attendre à Cavaillon. » 9 juin. Lettre des éditions La Table Ronde. «  Nous savons par votre éditeur que vous avez accepté de le représenter dans l’amical tournoi de ping-pong que nous organisons pour le samedi 14 juin dans la cour de la librairie Plon. » 13 juin. Présence à la «  foire du livre et de la curiosité », Foire Saint-Germain, place Saint-Sulpice à Paris. 15 juin. Lettre à sa mère de Paris. «  Je suis fatigué plus que jamais et je pense m’échapper de ce cercle infernal d’ici une dizaine de jours et aller m’engorder. Ma Lambretta ne me sera livrée que dans un mois. Je la recevrai à Avignon et je la rôderai sur les routes de Provence. Je sais passer un adorable été mais cependant je travaillerai fermement à mon second bouquin. / J’ai reçu une belle lettre d’H. M. mais j’ai décidé de ne point y répondre. C’est trop bête. Elle s’imagine, la pauvre femme, que j’ai parlé dans mon bouquin d’elle pour fgaire un scandale afin que ce dernier me rapporte de l’argent. C’est me juger un pauvre individu. Si j’avais des ambitions de ce genre, je n’aurais pas attendu 37 ans pour les faire valoir. Puis elle croit qu’Elisabeth Beausire c’est elle. Elisabeth Beausire est plus originale qu’elle. Une femme comme H. M. est bien banale ; si je ne l’avais un peu changée, lle n’aurait pas suffi à faire une héroïne. J’éspère qu’elle ne te bombardera pas de téléphones vains et inutiles. A Paris, personne ne s’inquiète si Elisabeth Beausire existe ou pas. On est habitué à ne pas confondre la réalité et le roman. »

9 juillet. Lettre à sa mère de Paris. «  je pars demain soir mercredi pour Gordes où je passerai 3 mois. Voici mon adresse exacte : / Le Beluguet / Gordes. […] Tu me parles de la Lambretta. Hélas, je ne pense pas l’avoir avant la fin août, début septembre si bien que je ne pourrai pas aller en Suisse comme je le prévoyais. L’argent pour cet engin est difficile à réunir. David s’occupe de vendre mon Permeke qui est difficile à placer. D’autre part d’ai vendu 3 Bosshard (ne pas le lui dire) mais c’est une peinture qui n’est guère cotée à Paris et je n’ai pas retirer plus de 100– frs. suisses de chaque aquarelle. Enfin David me paie peu à peu cette moto et je me réjouis fortement de me promener sur cet enfin. Mais le voyage suisse est bien compromis. C’est toi qui viendras à Gordes si tu n’as pas peur de la solitude. / Philippe et Antoine Cuendet vont dans 5 jours me rejoindre. » 28 juillet. Lettre à sa mère de Gordes. «  Ma chère Maman, je t’écris bien tard mais avant l’arrivée des Cuendet et Jaccottet, j’ai dû mettre ma maison en ordre et, davantage, déménager, c’est à dire emménager. Mes meubles, ceux de Sèvres, étaient à l’abri dans un garage d’un ami voisin de 9 kilomètres. sous la canicule, nous avons dû entreprendre, avec une petite camionnette 5 voyages. Puis, ensuite, la maison nettoyée, lavée, installer ces meubles. […] Nous avons été, un soir, au Festival d’Aix-en-Provence. On y donnait don Juan de Mozart. Ce fut sublime et d’une élégance rare. Après le spectacle, des amis anglais nous ont reçus dans leur maison éclairée aux flambeaux et aux bougies. Nous mangions encore à 4 heures du matin et nous avons vu le soleil se lever sur la montagne Ste. Victoire. C’était féérique. »

19 août
. Lettre à Gustave Roud de Gordes. Conservée au CRLR. «  Maintenant je vous presse de tenir votre promesse. La maison vous attend. vous viendrez ici quand vous voudrez. Vous verrez, c’est très beau. Chappaz et Jaccottet risquent de nous rejoindre. Vous ne pouvez me décevoir. » 26-27 août. Présence de Edmond Humeau et sa femme Germaine à Gordes.

22 septembre
. Lettre à sa mère de Gordes. «  C’est le 15 novembre que je pense toucher les premières avances de la maison Gallimard, je veux dire que ce ne sera pas des avances mais mon véritable compte d’auteur. J’éspère qu’il sera fort et que je pourrai te gâter un peu pour la Noël. / Il est possible que j’aille à Lausanne le 25 octobre, à la journée des Ecrivains Vaudois. J’ai reçu une demande officielle mais j’essaie de savoir avant si mes frais de déplacement me seront payés car je ne veux pas distraire une somme d’argent que nous pourrons utiliser pour la Noël, ensemble. Si le déplacement m’est payé alors je viendrai. / Les journaux et les revues français continuent à parler de moi. C’est une bien bonne chose car le livre se vend gentiment et le succès ne retombe point trop vite. Il me vient à l’idée que j’ai donné à la Revue vaudoise “Vie – Art et Cité” une nouvelle qui a paru. Je voudrais que tu puisses avoir un n° gratuit de cette revue. A cette intention, je joins un petit mot au Rédacteur de la revue à qui tu la remettras et qui te donnera ainsi un exemplaire. Je suis navré du portrait qui soi-disant me ressemble. Je n’ai rien pu faire. / Dis-moi si tu as vu dans les canards suisses des papiers sur moi. Philippe te donnera, si tu ne l’as pas lu, une interview qui a paru dans la N[ouv]elle. Revue de Lausanne, numéro du 20 juin 52 ; et de Lavaux, as-tu des nouvelles ? Je n’ai plus écrit mais je vais le faire incessamment. / L’année prochaine, tu prendras tes vacances ici. La maison est cette fois confortable. […] Mon second roman avance bien mais il ne sera pas terminé avant le mois de mars. […] T’ai-je dit que j’ai eu ici, la visite d’H.L. Mermod dans une splendide Mercury. » 24 septembre. Lettre à René Borchanne de Gordes, à propos de la «  Journée des écrivains vaudois ». «  Cher Monsieur, A. Régamey et vous-même, par le ton amical de votre lettre, m’avez convaincu. Je serai donc des vôtres ce 25 octobre. / Mes hésitations venaient non point, vous le pensez bien, d’une douteuse vanité d’auteur, loin de là, mais d’une crainte de mourir étouffé sous tant de lauriers. Cependant, j’aime trop mes origines, vaudoises et valaisannes, pour me dérober au plaisir d’être avec mes amis. / Je suis donc à votre merci. Je suis heureux d’avoir l’occasion de vous serrer la main. / Avec toute ma sympathie. / Gborgeaud / P.S. Vous pouvez jusqu’au 20 octobre m’écrire ici. »

7 octobre
. Carte postale à Gustave Roud de Gordes. Conservée au CRLR. «  oh, vilain G.R. ! Votre silence me peine. Pourtant, je vous avais en septembre renouvelé mon invitation. J’étais si sûr que vous l’accepteriez. […] Il faut tout de même s’acharner à vous aimer encore. » 9 octobre. Lettre de Gustave Roud. «  Quel cruel petit message, mon cher ami ! Certes je ne l’avais pas volé, si j’ose dire, étant resté silencieux – bien malgré moi – jusqu’aujourd’hui. Et vous ne pouviez deviner que j’étais encore prisonnier de mon travail pour la Guilde. ». 10 octobre. Lettre à Gustave Roud. Conservée au CRLR. «  Mon Dieu, qu’ai-je dit ! Soyez certain, très cher G., que ma carte venait vous taquiner, je le veux bien, avec quelque dépit mais que jamais je n’ai eu l’intention de vous faire du mal. » 23 octobre. Arrivée à Lausanne. Y reste jusqu’au début novembre.

9 novembre
. Lettre à sa mère de Paris. «  J’ai vu que tu avais du chagrin à me voir partir. Mon émotion était grande aussi. […] Figure-toi que les douanes m’ont fait payer 2.800 frs. de droits d’entrée pour mon manteau de Loden. J’étais furieux. Le douanier m’a demandé si le manteau était neuf. Je n’ai pas osé lui dire non et voilà. Je t’assure que je fus triste et que j’aurais volontiers cassé la pipe de cet imbécile. C’est un manteau qui finit par être cher. » 19 novembre. Lettre à sa mère de Paris. «  Le Figaro littéraire m’a demandé de collaborer une fois par mois à son hebdomadaire. Ce sera un petit fond déjà de 10.000 frs. Quant à Jean Tardieu, il me reparle d’une collaboration à la radio. Je crois bien que j’accepterai. / J’ai bien fait, n’est-ce pas, de venir à Lausanne. Je vois que l’on continue à parler de moi ce qui est une excellente affaire car j’éspère que mon livre se vendra à Noël en Suisse Romande. […] Je suis allé jeudi dernier manger avec Florence Gould, une des plus grandes fortunes américaines (Canadian-Pacific) qui invite des célébrités à ses déjeûners. Il y avait Marie Laurencin, Paul Léautaud, Jouhandeau et d’autres […]. C’était fort mondain et fort bon. » 23 novembre. Lettre à Gustave Roud. Conservée au CRLR. Evocation de la dernière visite à Carrouge. 24 novembre. Lettre à René Borchanne de Paris. «  Quant à ce que vous me dites sur mon Préau, vous me flattez trop. Mais je suis très heureux que vous l’aimiez car, en effet, c’est bien un livre autobiographique, du moins en grande partie. / Je serai à Paris fort probablement à la fin de l’année. Si je ne vous ennuie pas trop, faites-moi signe. […] Quelle pauvre figure d’idiot fais-je à côté de vous sur la photographie de la semaine de la Femme. Cela ne me donne pas trop une idée favorable de mon physique. Je vous remercie d’avoir eu la gentillesse de m’envoyer le document. […] Oui, la mort de Madame Régamey m’a profondément peiné. Je me reproche de l’avoir si peu vue lors de mon passage à Lausanne. Que va devenir le pauvre albert ? Dites-moi si vous pensez que je puis faire quelque chose pour lui, de n’importe quel ordre. / P.S. Est-ce que le compte des livres vendus, des Préau, est exact. Dois-je en envoyer encore. J’ai donné des ordres à Gallimard qui n’ont, peut être, pas été excutés. »

17 décembre
. Lettre à sa mère de Paris. «  Gallimard ne veut vraiment pas me payer avant le mois de février, mois pendant lequel les comptes d’auteur sont réglés. D’ici là, je vivote en travaillant à gauche et à droite, dans les journaux et à la radio. / A propos de la radio, tu pourras m’entendre deux fois prochainement. D’abord à Radio-Lausanne le soir même de la St. Sylvestre dans l’émission, je crois de minuit (tu vérifieras !) : avec les vœux de Radio Lausanne. Nous avons enregistré hier chez Patachou cette émission. C’était fort agréable. Patachou a bien du talent. Tu verras que je suis avec Gilles, Pauline Carton, Danièle Delorme, Patachou et d’autres. Cela t’amusera. Tu me diras ce que tu penses de mon texte. Je ne puis pas m’empêcher d’avoir le trac devant le micro. C’est désolant. Puis je parlerai à Radio-National (peux-tu l’avoir ?) le 15 janvier (je te confirmerai la chose d’ici là !) à 21.45 heures ; l’émission s’appelle Belles-Lettres. / D’autre part, tu recevras ces jours-ci un numéro du journal Curieux pour lequel j’ai donné une nouvelle de Noël, intitulée “Noël au château”. J’éspère que la rédaction me la paiera bien. […] Mon amie Paule va bien et je crois que nos projets avancent. Nous irons, dans ce cas, te voir à Lausanne et tu viendras à Paris mais il faut attendre la belle saison. »