1961

Année des 47 ans, de la rencontre de Juliette et d’Ida Gavillet, du secrétariat de Marcel Arland.

Avril. Exposition jusqu’en mai des peintures d’Estève à la Galerie Villand & Gallanis à Paris. C’est là que GB découvre avec enthousiasme la peinture d’Estève. 26 avril. Lettre de Juliette à la mère de GB. « Bien chère Madame, / Quelle vilaine je suis ! Georges m’a déjà grondée. Je n’ai pourtant pas oublié la gentille réception que vous m’avez réservée et les jolies choses que vous m’avez données me parlent de vous avec gentillesse, seulement je suis une paresseuse-née pour l’écriture ! et il faut me le pardonner. Je suis très heureuse de vous connaître, je le désirais depuis longtemps, mais Lausanne est bien loin ! J’espère maintenant avoir l’occasion de vous revoir. Je ne sais si vous avez compris en ces quelques heures combien j’aime Georges. C’est bien difficilement exprimable. Notre amour est grand et pur et je souhaite que rien ne vienne le briser. Je ferai toujours tout ce qui est en mon pouvoir pour que Georges soit heureux. En ce moment, il est à Brinville, chez Marcel Arland, qui lui a donné une grande pièce dans sa maison. Je viens de lui téléphoner, il travaille à son roman. Combien je souhaite son succès ! / J’aimerais recevoir de vos nouvelles chère Madame / Merci encore de votre gentillesse et permettez-moi de vous embrasser affectueusement. / Juliette »

11 mai. Lettre à sa mère de Brinville (Seine et Marne), chez Marcel Arland. « En réalité, je suis depuis plus d’un mois dans la campagne de Marcel Arland l’écrivain et un des directeurs de la N.R.F. / Il a subi, il y a deux mois deux graves opérations consécutives à un décollement de la rétine. Aussi ne voit-il guère et est-il obligé à un très long repos. Il avait donc besoin d’un secrétaire, d’un lecteur, d’un factotum comme on dit et il m’a choisi. Cela m’a obligé de quitter Paris qui est à 50 kms. de là et de m’installer dans ce village où Mr et Mme Arland ont une belle maison, malheureusement inconfortable et fort mal soignée. Je pense que d’avoir accepté ce secrétariat peut avoir une suite excellente sur mes affaires, mais, d’autre part, cela a gêné bien des plans. D’autre part, je ne vois plus Juliette qui me téléphone parfois et au téléphone on ne peut parler aisément. Pour la première fois, elle est venue ici dans la voiture d’une amie car, timide, elle ne tient pas à rencontrer souvent Arland dont la notoriété l’impressionne. Puis, d’autre part, Arland n’est guère invitant. Bref ! Voilà toute l’explication. / Dans ce mot perdu, je te demandais ce que tu pensais de Juliette. […] Elle a été très, très touchée par ta gentillesse et ton affection. je pense qu’elle t’aura exprimé sa reconnaissance. J’ai plus d’amitié pour elle que d’amour […]. » 27 mai. Carte à sa mère de Paris. « Je suis pour quelques jours à Paris et vais rejoindre Marcel Arland dans sa campagne. »

25 juin. Carte postale à sa mère de Sorrento, « près Naples ». « Ma chère Maman, Jean Tardieu m’a fait invité tous frais payés ici où se tient une réunion du comité des Ecrivains européens. »

1er juillet. Carte postale à sa mère de Naples. « Ma chère Maman, je suis sur le chemin du retour ! Il fait un chaud absolument intolérable et mes visites à Naples se simplifient. Demain à Rome. Bientôt en Suisse. Je rejoins Juliette à Venise. » 7 juillet (environ). En Suisse. 12 juillet. Carte à sa mère de Venise. « Me voici à Venise avec Juliette. Nous pensons beaucoup à toi. » De la main de Juliette : « Je me réjouis de vous revoir / Affectueusement. Juliette » Fin du mois. Rentre à Paris.

2 août. Lettre à Gustave Roud de Paris. Conservée au CRLR. « Mon très cher G., / Un mot bref pour te dire que la traversée fut bonne. J’ai regardé du train vers Carrouge, ce lieu essentiel où je laisse volontiers le pieu qui m’attache à ce pays par ailleurs si irrévocablement quitté. Toi, Gustave, ami magnifique, exemplaire, si profondément attentif, le seul ami à qui je dise tout, à qui j’aimerais tout livré – et je suis orgueilleux de mes richesses et de mes faiblesses ! – Merci. » 26 août. Lettre à sa mère de Paris. « Ma chère Maman, / Je n’ai plus bougé de Paris depuis mon retour de Suisse. La ville est agréable, presque sans circulation. La nuit on est réveillé par les attentats au plastic. J’ai de la chance d’habiter un quartier qui n’est pas occuper par des politiques au pouvoir, si bien que les menaces restent en dehors de notre arrondissement. Quelles sottises que tout cela ! / Je travaille très sérieusement à mon livre dont je vais, bientôt, voir la fin. Ce sera un livre curieux et qui, certainement, sera bien accueilli. / On tachera de le faire “pousser”par une publicité un peu plus soignée que pour la vaisselle. »

30 septembre. Lettre à sa mère de Paris. « Mon livre est à peu près terminé. Il sera beau. / Chappaz m’a écrit une longue lettre. Il aimerait avoir un pied-à-terre à Paris. »

12 octobre. Lettre à Gustave Roud de Paris. Conservée au CRLR. GB évoque les retrouvailles avec Maurice Chappaz et pense que Roud y a joué un rôle.

13 novembre. Lettre à sa mère de Paris. « Ma chère Maman, ne m’en veuille pas trop de ne pas t’écrire, mais j’ai de gros soucis en ce moment dont le plus grave est la santé de Juliette. Je crois te l’avoir dit : Juliette a un cancer qui progresse d’une façon foudroyante. Elle a dû, il y a un mois, quitter l’école et dans quelques jours, elle va quitter Paris pour aller à Vallauris dans la maison de ses tantes où elle sera mieux… pour mourir, car c’est cela qu’a dit le médecin… pour mourir. Naturellement, elle ne sait rien ; tout le monde lui ment, lui dit qu’elle va guérir, qu’il faut être patient etc… mais le médecin, je le répète, n’a plus aucun espoir. Il nous l’a dit à nous, la mère, l’amie, l’ami, Voilà une nouvelle qui te peinera ! Naturellement, je donne beaucoup de mon temps à Juliette. Jeudi elle part et je reste, moi, à Paris. Je risque donc de ne plus la revoir, à moins que le mal veuille bien attendre que nous passions un Noël de plus ensemble. Tout cela, tu le vois, est triste et me bouleverse. / Puis, je vais, peut-être, partir au début de 62 à Venise et à Rome comme précepteur du garçon de la comédienne Jeanne Moreau. C’est la maison Gallimard qui m’offre cette situation, très intéressante pour moi à tous les points de vue, mais je crains d’une part que les caprices de ces gens de cinéma aient le dessus, donc que ce projet change, mais aussi que la maladie de Juliette m’empêche de m’éloigner. Il y a là un problème. / J’ai donné à Juliette la photographie de moi enfant que tu m’a[s] si gentiment offerte. Cela lui a fait un tel plaisir de la mettre dans son portefeuille que je ne pouvais pas l’en priver. Tu vois que tu es bien tombée. Juliette te remercie, moi aussi, Quant à mon roman, il est terminé, Je le donnerai à Gallimard dans quelques semaines. / Je t’embrasse tendrement et te fais tous mes meilleurs souhaits. / Georges / Merci encore pour cette belle photo ! » 15 novembre. Lettre à sa mère de Paris. « Ma chère Maman, / j’ai, immédiatement, téléphoné à Juliette toutes les bonnes choses que tu lui souhaites et je lui ai promis la photographie que tu as jointe, pour elle, à ta lettre. Je vais la lui apporter tout à l’heure car elle part aujourd’hui même pour Vallauris où elle demeurera quasi définitivement. C’est une épreuve, tu peux bien le penser. […] Le projet Jeanne Moreau semble se disloquer. Je le regrette, car le travail aurait été amusant dans le milieu du cinéma et profitable à tous les points de vue, mais voilà, quelqu’un de plus intelligent que moi aura pris les devants. / Evidemment la littérature ne nourrit point son homme et Gallimard a bien fait de me proposer. Cela ne pouvait rien enlever au prestige de l’écrivain, au contraire même. » 25 novembre. Lettre à sa mère de Paris. « Je mets la dernière main à mon roman, c’est tout. »

10 décembre. Lettre à sa mère de Paris. « … Quant à la pauvre Juliette, ses jours sont comptés, tu le sais. Elle va venir pour les Fêtes de Noël à Paris. Tout le monde le lui déconseille, mais elle veut voir son médecin et moi. Il faut lui laisser ses derniers caprices. La vie est une chienlit. / Pourrais-tu venir à Paris durant les Fêtes ? Je t’offre le logement à l’hôtel et la pension, c’est évident. Cela me ferait plaisir, nous ferait plaisir. » Même jour. Lettre à Odette de Lavallaz (veuve de Bernard de Lavallaz), Jean et Lisette de Lavallaz (enfants de Bernard). « Mes très chers Amis, il faut que l’un de nous rompe le silence ! Je pense beaucoup à vous, je ne cesse d’évoquer la mémoire du cher Bernard qui, vraiment, continue à marcher à côté de moi, comme s’il ne nous avait pas quittés. Sa présence est donc si forte puisque la mort ne l’a diminue pas. Il est évident que j’aimerais mieux que nous l’ayions vraiment auprès de nous et en ce temps de Noël. C’est pourquoi je viens vous saluer, vous embrasser, vous dire que nous nous tenons serrés les uns contre les autres et que la fidélité est plus forte que le silence qui est dans nos natures sauvages ou (pour moi) paresseuses. / Vous l’avez deviné, Juliette est condamnée et, depuis que je vous ai vus, les choses se sont aggravées. Elle a renoncé à l’école, elle est en congé. Ses tantes de Vallauris l’ont prise sous leur protection. Heureuse au soleil, à la campagne, elle se voit, pourtant s’en aller. C’est atroce ! / Je voulais aller la voir à Noël mais elle m’écrit qu’elle viendra à Paris (car ses braves mais conventionnelles tantes ne veulent pas de moi chez elles, à cause des jaseurs !) en avion, s’il le faut. Elle en profitera pour voir son médecin. Elle vous aime beaucoup, beaucoup. / (…) Quant à moi, j’ai fini mon roman dans les pires difficultés. C’est mon lot. »

27 décembre. Lettre à sa mère de Paris. « … [J’ai passé les fêtes de Noël] en compagnie de Juliette qui est revenue de Vallauris en compagnie de sa mère et de ses tantes. […] J’ai beaucoup regretté que tu ne viennes pas à Paris. […] Je ne puis pas venir à Lausanne pour l’An nouveau. Tout d’abord, je gagne quelques sous dans une librairie (comme “supplément” et j’y travaille jusqu’au soir de la St-Sylvestre. Puis je passerai la nuit du réveillon chez des amis parisiens, les Vieillard. Le lendemain, je serai à nouveau l’hôte de Juliette et de sa famille. […] Je t’envoie par le même courrier un petit livre pour enfant, traduit du hollandais, dont j’ai revu la version française [Il s’agit de L’Énigme de la langue creuse ou les Bateaux de Brakkepuits]. Tu verras que l’histoire qui est racontée est assez jolie. Fais-le connaître autour de toi. Cela le fera vendre. »