1963

Année des 49 ans, du secrétariat de Jean Dubuffet, de la rencontre avec Bertil Galland, du refus par Gallimard du Voyage à l’étranger (publié en 1974 par Galland et Grasset après remaniements conséquents).

15 janvier. Estève, à qui GB avait écrit en 1961 pour lui dire son admiration, lui propose d’écrire l’introduction au catalogue de son exposition en avril chez Villand & Gallanis. 21 janvier. Lettre dactylographiée à sa mère de Paris. « Non, je ne suis pas en Italie ! Il faudrait de l’argent, il faudrait du temps. Madame Gediking m’a dit qu’elle t’avait informé, par téléphone, que je travaillais à présent pour le peintre Jean Dubuffet et que mon temps était fort pris. En effet, je suis fort occupé, agréablement à tous les points de vue puisque je n’ai dorénavant plus de soucis matériels. Mais et cela est bien naturel, je suis obligé de demeurer sur place et ma liberté est bien moins grande. […] Tu me diras simplement à quelle époque, tu préféres ce voyage. je voudrais que ce ne fut pas en mai, car la Sté d’écrivains qui m’a invité la précédente année, a l’intention de se réunir, à ce moment là, à Varsovie et si nous sommes invités dans les mêmes conditions qu’à Florence, naturellement, je ne manquerai pas cette occasion. Il est vrai que mon livre risque de sortir à la même époque. » Le livre ne « sortira » que neuf ans après.

12 février. Lettre à Yoki. « […] je serais ravi que nos routes se croisent à nouveau, un peu plus souvent, mais la Suisse s’éloigne sous mes semelles si elle ne s’éloigne pas dans mon cœur. / Et puis, il m’est revenu une promesse que tu m’avais faite mais que tu as pu oublier et, crois-le moi, je ne t’en voudrais pas du tout car il y a même, de ma part, de l’outrecuidance à te la rappeler. Tu avais songé, un jour, à m’offrir un bahut de bois peint. Figure-toi que je l’imagine fort bien ornant une maison de campagne que je loue en Normandie, près de Varenge-ville et je me dis que tu aurais plaisir à venir l’y voir. C’est une façon de mettre un hameçon à ma ligne pour attraper le poisson Yoki, non point pour le manger mais pour reprendre nos si vives et bonnes conversations sur la peinture et la poésie. En résumé, tu es invité à Miromesnil (le nom du hameau) et tu y sera moins dépaysé en retrouvant un élément de chez toi. Mais si tout cela est trop ancien pour être valable encore, ne sois nullement gêné de me le dire et tout de même toujours affectueusement à toi, à ta femme, aux enfants. » 17 février. Lettre dactylographiée à Pierre-Olivier Walzer. « Mon trs cher P.O., / Mille fois merci pour ton portrait de Cingria ! Il y a là des vérités exprimées qu’il a fallu avoir quelque courage pour le faire, particulièrement lorsque tu parles de Ramuz et Cingria réciproquement. J’ai immédiatement envoyé, sous enveloppe, cette page à Paulhan que je vois souvent et avec lequel je parle souvent de Cingria. Certainement, ce texte sera cité dans la NRF. / Je voudrais bien que tu viennes me voir chez moi, dans mon pigeonnier, lorsque toi et Simone viendrez à Paris, même si tu viens seul. Je voudrais vous gâter un peu autour d’une table succulente. C’est idiot de ne plus se voir et de ne plus s’écrire. / Vraiment, mon roman est achevé. Je vais en envoyer une copie à “Pro Helvetia”. Je t’assure que je l’ai repris 6 fois. Ainsi suis-je : horriblement sévère avec moi-même, je veux dire avec l’écrivain, plein d’indulgence pour l’homme. / TOUT FRATERNELLEMENT à tous les deux. / Georges B. » Le « pigeonnier » dont il est question n’est autre que l’appartement du 59, rue Froidevaux ; GB ne connaîtra Calvignac qu’en 1965, et s’installera dans le pigeonnier du Grès, à Calvignac, deux ans après.

Avril. Préface pour Aquarelles d’Estève. 4 avril. Lettre à Bertil Galland de Paris en réponse à son invitation à collaborer au premier numéro de la revue Écriture. « Bien sûr que j’accepte ! Il y a un très grand plaisir à prendre connaissance de toutes vos excellentes intentions et un auteur est toujours flatté d’être jugé digne d’une telle noble compagnie. Il serait médiocre ou vaniteux de refuser. Donc, avec joie, je suis prêt à apporter ma collaboration à vos “Cahiers”. J’attends comme une sentinelle, des instructions… » Il donnera « L’Embouchure aux buses ». C’est le début d’une grande aventure éditoriale et amicale, souvent passionnelle, rarement simple, avec Bertil Galland.

29 juillet. Carte postale à sa mère de Cerisy-la-Salle (Manche). « Ma bien chère Maman, je suis venu ici, dans ce beau château, pour assister à une décade sur Paul Claudel. L’endroit est magnifique et le climat d’amitié très grand. Je rentre à Paris d’où je t’écrirai ».

8 août. Lettre dactylographiée à sa mère de Paris. « Je te remercie beaucoup des vœux que tu m’as envoyés pour mon anniversaire. La carte était bien jolie. Je l’ai trouvée à mon retour de Normandie où j’étais allé pour participer à une décade sur Paul Claudel. Tu as reçu, d’ailleurs, une carte de là-bas. C’est à peu près toutes les vacances que je passerai cette année, à moins que je puisse mettre la maison que l’on me prête près de Dieppe en état avant cet automne. / J’ai l’intention d’aller en Suisse au début septembre pour 4 à 5 jours. La vérité est que la fille de Paul Claudel, Renée Nantet-Claudel voudrait que j’amène son enfant Donatien, 11 ans, à des amis parisiens qui habitent la Sage. Je n’ai pas dit non, car cela me permettrait de te voir. »

14 septembre. Lettre à Bertil Galland de Noirmoutiers (Vendée). « Voici mon texte ! J’espère qu’il vous parviendra le 15 à Lausanne, l’ayant fait poster à Nantes pour qu’il puisse prendre un train rapide. Comme vous le voyez, je ne suis plus sur le continent. Malheureusement, mes vacances n’auront duré que 5 jours. Mardi [17.10], je serai à nouveau à Paris. » 18 septembre. Lettre à la revue Écriture. « De retour à Paris, je relis mon “embouchure aux buses”et je m’aperçois en lisant mon texte au magnétophone, qu’il existe des maladresses d’expression, des adverbes inutiles, ici ou là un manque de musicalité. Il n’y a rien de très grave, du moins à mon avis, mais j’aimerais savoir si vous préféreriez que je vous redonne une version dactylographiée à peu près définitive, ou si vous acceptez que je fasse les corrections sur épreuves. Un mot de vous me rassurerait. Il est aussi possible que ce texte vous ait déçu. Dans ce cas, ce serait irréparable. »

7 octobre. Lettre à sa mère de Paris, en-tête de la N.R.F. « Ma bien chère Maman, / je dois me rendre en Suisse dans le courant de la semaine prochaine. Je vais séjourner chez les Graff, probablement, et rentrerai à Paris avec eux puisqu’ils ont l’intention d’y faire un petit séjour à partir du 20 octobre. / Je serai ravi de te revoir et de te parler de mon livre dont la publication a été remise à janvier-février de l’année prochaine, c’est à dire dans 4 mois. » 9 octobre. Lettre à Bertil Galland de Paris, en-tête de la N.R.F. « Voici, cette fois-ci, mon embouchure tout à fait au point. Je n’y reviendrai plus, sinon pour de petites corrections sur épreuves. […] Je serai à Lausanne dans une semaine. Je vous ferai signe si vous le permettez. / Vous voyez que je suis incorrigible en corrigeant sans cesse mes textes ! Les corrections sont-elles claires ? » 18 octobre. Lettre de Gaston Gallimard annonçant qu’il ne retient pas Le Voyage à l’étranger.

10 novembre. Lettre à sa mère de Lausanne. « Ma chère Maman, j’ai essayé de venir te dire au revoir mais je ne t’ai point trouvée. Je le regrette ! Voilà ! Il est triste que tu m’aies ainsi accueilli. Tu t’inventes des raisons de souffrir. Quant à moi, je n’ai aucun goût aux explications et aux malentendus. Je ne me sens pas coupable. / Je t’embrasse G. » Et GB rentre à Paris. Nous n’avons plus de lettre à sa mère jusqu’au 11 janvier 1965 (lettre qui confirme ce silence).