1965

Année des 51 ans, de la découverte du Lot et de Calvignac.

11 janvier. Lettre à sa mère de Paris. « Ma chère Maman, j’ai été très heureux de t’entendre car j’ai beaucoup regretté notre malentendu, d’autant plus que je ne me sentais nullement coupable. Mais n’en parlons plus, de peur de réveiller les démons de l’explication qui nous divisent, chacun de nous se croyant dans ses droits et ne voulant pas en démordre, en bons Valaisans que nous sommes. […] Comme je te l’ai dit, j’ai une pièce de plus, ce qui me facilite bien la vie et m’a permis d’installer un peu plus de confort. Comme je suis condamné à ne plus en bouger, j’arrange mon appartement avec des moyens de fortune mais joliment. Les meubles me manquent, mais ainsi je ne surcharge pas trop les pièces. / J’ai été très abattu par le refus de Gallimard de publier mon troisième roman ; c’est Grasset qu le publiera cette année. La maison n’a pas la gloire de la nrf, mais elle est sérieuse et aimée par tous les auteurs qu s’y trouvent. / Oui la déception a été grande ! Marcel Arland m’a lâché, bien qu’il dise le contraire. C’est un sacré milieu que celui des littérateurs qui se bouffent les pinces comme dans un panier de crabes. […] Tu m’as reproché au téléphone de parler à la radio de Ch. Albert Cingria. Il pouvait avoir tous les vices, tous les défauts, c’était un grand écrivain et rien, jamais, ne m’empêchera de le dire. En littérature, la liberté est complète et l’opinion publique n’a aucun intérêt. »

17 avril. Carte postale à sa mère des Gorges du Tarn, « en voyage avec des amis ».

1er juin. Lettre à sa mère de Paris. « Mon roman paraîtra cet automne chez Grasset. J’ai vu hier soir, j’ai dîné chez Frank Jotterand et sa nouvelle femme. Ils sont charmants. Je vais collaborer à nouveau à la Gazette qui me paraît subir d’assez grands remous. […] Moi, j’ai dû aller chez le dentiste me faire remettre à peu près toutes les dents. Tout cela était en mauvais état. J’ai beaucoup souffert. / Peut-être viendrai-je en juin en Suisse. J’ai à faire à Zürich et en Valais. […] Je ne vois pas encore ce que je ferai cet été. Probablement, j’irai vivre à Calvignac dans le Lot où l’on m’aprêté une petite maison confortable pour l’été seulement. J’ai à finir un livre sur Ramuz qui m’a été commandé par les éditions Universitaires de Paris. » 8 juin. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Paris. « J’allais t’écrire, c’est vrai, et je t’en donnerai plus tard la raison. Mais je reçois, ce matin, les deux volumes, superbes volumes, de l’anthologie jurassienne dont tu es le préfacier, l’inspirateur, l’érudit. C’est un royal cadeau qui me remplit d’une grande confusion. Ta générosité est aussi fidèle que ton amitié. […] J’ai mis tout de suite le nez dans ta préface, avec quel plaisir. L’écrivain en toi que je déguste toujours avec gourmandise, est toujours remarquable. Ce n’est pas rien, crois-le. Et c’est tout ! / Il est évident que le Jura est riche de personnalités et ne crois pas que je les dédaigne au nom d’un parisianisme dont je suis bien revenu. – ta dédicace pourrait me le laisser croire ! – Il est si vrai que je respire avec joie cette odeur des prés et de la gentiane du Jura. Un parfum bien établi vaut mieux qu’une débandade d’odeurs. Bref ! Je suis tout à fait convaincu (et, déjà, pour Renfer, t’en souviens-tu ?). Ma reconnaissance, donc, est totale. J’en suis même confus. / Cependant, il faut que je te fasse un petit reproche, un reproche que je ne voudrais pas que tu interprêtes mal en le mettant sur une vanité littéraire que je n’ai pas –c’est, peut-être, un défaut ! – Tu cites dans le tome II pour le Valais : Zermatten et Chappaz : le Valais n’a presque pas d’existence littéraire digne de ce nom avant Ch. et Z (Z et Ch.). Je suis donc de l’autre côté de la barrière dans le pré où rumine le bétail qui n’a presque pas d’existence littéraire… C’est dur ! C’est injuste ! Il ne faut jamais, Pierrot, formuler ainsi des absolus, absolu que je comprendrais s’il n’avait englobé que Chappaz mais Zermatten… Voyons, voyons ! / Peut être crois-tu que je suis très indifférent au jugement helvétique ; dans tous les cas, je ne suis nullement indifférent à celui de mes origines, particulièrement à celui du Valais pour lequel j’ai une secrète passion et un désir de l’honorer. Il me semble que mes deux romans ne sont pas médiocres au point de les abandonner dans le brouillard des bonnes intentions. Bref ! Je ne me sens pas indigne de Chappaz. / Peut-être que je souffre encore du refus Gallimard et de le voir, par toi, comme ratifié, comme si ce refus (ce jugement nrfien) signifiait la médiocrité de mon livre donc un légitime rejet vers le bétail dont je te parlais tout à l’heure. / J’ai repris La Marche de Nuit, devenu le Voyage à l’Etranger. Il va paraître bientôt. Tu verras. Peut-être reconnaitras-tu que j’apporte au Valais une expression qu’elle connait peu. Ce n’est pas les nombreux volumes de Zermatten qui font une expression, tout au plus une meule de foin. Tu respireras mon regain. / Oui, j’ai été peiné Pierrot. Peiné parce que cette erreur vient de toi. Bon ! N’en parlons plus ! Mes boutons de vanité littéraire défigurent rarement mon jugement, mais ce ne sont pas des boutons, à peine une démangeaison. / Moi, je voulais t’écrire pour t’annoncer que pour le gros volume de Mazenod : Les écrivains célèbres, j’ai été chargé de la section suisse française. Il vient de paraître. Tu y liras ce que je pense de Chappaz à qui je donne une grande place, celle que je trouve légitime de lui donner, très grande et très confiante. / Et à toi, aussi, j’ai donné une place et tu verras que je ne ménage pas mon admiration pour ton œuvre littéraire. Je t’ai imposé à mes rédacteurs. Pourquoi n’avoir pas de ton côté manifesté la même objectivité ? N’en parlons plus ! Mais que dois-je faire pour te donner confiance en mes dons ? Une œuvre aussi vaste que celle de St. Simon ? Il est évident que Chappaz en est encore loin. / J’ai un peu honte de ma lettre, bien sûr. Il eût été plus pudique de me taire, mais d’un frère comme toi, la claque m’a paru douloureuse. Voilà ! / Quand viens-tu à Paris ? Avec Simone, tu seras, vous serez mon invité. J’y tiens. » 13 juin. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Paris. « Mon cher Pierrot, / J’éspère que j’arriverai à temps pour t’enlever la peine de répondre à ma stupide lettre. Je ne sais quelle mouche m’a piqué ! Celle de la lassitude après un gros effort (j’ai tout récrit mon roman), de la connerie. Pardonne-moi donc cette erreur, cette susceptibilité ridicule d’écrivailleur, de l’homelette de lettres, comme on disait au collège. Efface, efface je te le demande. Merci. / Bien affectueusement / Georges B. / Un grand merci de m’avoir inclus parmi tes amis dans la note biographique qui t’est consacrée dans l’anthologie. Cela est autrement plus doux à l’amitié que la vanité littéraire. »

27 juillet. Lettre à sa mère de Paris. « Non, je n’irai pas en Normandie. Je n’ai pas pu garder la maison, cela coûtait trop cher. / Je vais partir durant quelques jours chez des amis dans le Lot ; puis après j’irai à Lausanne. nous passerons de bonnes journées ensemble. »

12 septembre. Lettre de Hans Seiler se disant heureux d’apprendre que GB est bien rentré à Calvignac.

2 octobre. Départ pour Rome et séjour jusqu’au 10. Séjour en Suisse ensuite.