1973

Année des 59 ans, de la mort de Daniel Simond.

Janvier. Broncho-pneumonie. 13 janvier. Carnet : « à Caux du 13 janvier 73 au 19 janvier, chez T. et F. » (François Nourissier et sa femme). Caux se trouve à 10 km de Montreux.

13 février. Lettre de la Société suisse des écrivains. « Je vous remercie de votre aimable lettre du 29 janvier. Soyez assuré que nous sommes heureux d’avoir pu contribuer à la réalisation de vos projets. […] En souhaitant vivement que votre santé soit entièrement rétablie et que vous puissiez achever bientôt le roman auquel vous travaillez (veuillez ne pas m’oublier dans le service de presse, merci !) ». 26 février. Lettre à sa mère de Paris. « Je pense venir bientôt en Suisse. Je te verrai, bien sûr, mais je ne voudrais pas encore entendre des plaintes tout à fait injustifiées. Pourquoi donc ne renonces-tu pas une bonne fois à me chercher des querelles injustifiées ? Nos rapports s’en trouveraient bien allégés. »

17 mars. Carnet : « Un rêve 16-17 mars 1973. / Le mari d’Hélène Magnenat se suicide en se jetant de mon balcon, à Paris. J’imagine que ma marraine (H. M.) va se précipiter par l’escalier, l’ascenseur pour lui porter secours mais elle cherche dans le tiroir de mon secrétaire une lettre qui lui a été adressée par son mari même, il y a longtemps dit-elle, et qui débute par ces mots : un jour je te quitterai. / Ce rêve est la déformation, métamorphose d’une réalité entrevue la veille, alors que je me rendais chez Claude B., un motocycliste accidenté inanimé sur la chaussée, perdant son sang qui coulait de dessous le casque obligatoire. Casqué et botté. C’était impressionnant. »

8 avril. Carnet. « La mort de Picasso ce 8 avril 73 me convainc que ce qui importe au monde n’est pas fatalement ce qui m’importe personnellement. / Je ressens avec la communauté l’importance de cette perte. / Mais, enfin, Picasso disparaît le dernier… d’une époque que les idées en cours, sinon nouvelles, ne suivront pas. C’est sur ce plan le + haut, comme un refrain de l’enfance du siècle, chanté comme un air 1900 : je t’ai rencontré, simplement… / * / Picasso ou la fin de notre jeunesse qui s’était prolongée avec lui. » 10 avril. Lettre à Bertil Galland. « Mon cher Bertil, / Deux nouvelles à te donner. L’une que je viens de recevoir de François N. : “c’est OK avec Bernard pour la co-édition avec Bertil. travaille vite et bien : septembre 73, pour toi, pour nous, serait une très bonne date.” / Je suis d’accord ! Mes raisons d’avoir négligé Mes sepias [petits textes en prose] qui sont faites pour l’essentiel, sont celles d’un auteur qui cette fois-ci s’est mis dans la tête d’en finir avec son roman ce printemps, et pour cela de négliger tout le reste, sauf ce qui me permet de gagner un peu ma vie. Les articles pour le Point et autres canards me prennent déjà du temps, car je travail et c’est bête, lentement. Zut alors ! / Ne me tourmente pas trop et ne me fais pas de peine – c’est la seconde chose que je veux te dire – en poussant au désespoir Marcel Raymond qui, ce matin, m’écrit pour me relancer à propos du papier sur Cl. Aubert… “Or, B. Galland me dit que nous ne lui avez rien envoyé, il ajoute même – mais je me refuse à l’admettre – que vous êtes l’homme qui ne tient pas ses promesses.” / Oui et non ! Pour Aubert, avoue que la lettre où tu annonçais à tes amis que tu renonçais à la publication de l’hommage pour différentes raisons, dont je crois me souvenir que l’essentielle était certaines réserves de la famille de Claude, cette lettre, donc, pouvait me laisser croire que le projet était à l’eau. Je n’ai eu la connaissance de son sauvetage que récemment, par un mot d’H. Noverraz et le tien assez récemment. Bien sûr, diras-tu, ces atermoiements sont d’excellents prétextes pour moi… Il est vrai que ce “papier” sera fait, mais il n’est pas facile à écrire. J’y réussirai et le ferai rapidement. Je ne veux décevoir ni ta confiance, ni celle de M. R. Voilà ! […] Gronde-moi, secoue moi avec ce délicieux sourire que je te connais, avec ton indulgente amitié, sans me laisser croire qu’ailleurs tu te montres beaucoup plus sévère à mon propos. »

1er mai. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Paris. « J’ai, à nouveau, été sérieusement secoué dans ma santé : broncho-pneumonie, seconde dans ma biographie qui commence à avoir du poids. […] La correspondance Cingria ? Je ne la trouve pas fulgurante, tout au moins quand elle s’adressait à moi : plaintes, engueulades pour avoir osé lui demander – quelle idée ! – de rembourser une dette. Ce serait absolument vouloir se vanter d’avoir été un correspondant du grand homme… il aurait mieux valu qu’il ne prît plus au sérieux et m’écrivît des choses plus graves ou plus drôles. / Pardon ! » 3 mai. Lettre de sa mère. « Je suis allée à la cérémonie mortuaire du mari de Germaine, Je n’aime plus ce genre de cérémonies tous ces gens, curieux qui n’ont aucun sentiments profonds vraiment. Tu me connais je suis toujours seule et je reste moi-même et avec toi. Quand tu viendras nous parlerons de beaucoup de choses nous deux. »

25 juin. Lettre à sa mère de Paris. « … j’ai eu de gros ennuis de dents. Tout à l’heure, je vais me faire mettre un[e] dent à pivot et ma foi c’est bien désagréable. Et l’appareil que j’avais s’est cassé en deux, ce qui m’a privé d’une bonne partie de ma mâchoire du haut. Je n’étais guère sortable. / Cette année., je descendrai assez tard dans le Lot car j’ai des besognes à Paris. […] Nous étions toi et moi destinés à demeurer pauvres. Ce n’est pas de notre faute. Nous ne savons pas être malhonnêtes comme il le faudrait. » 26 juin. Lettre à « Yoki, Joan, Patrick ». « J’ai tenté de vous atteindre par téléphone samedi soir dernier et au cours de la journée de dimanche. […] Je voulais avoir un écho au vernissage Cingria, savoir un peu votre opinion sur mon texte, bref entendre vos délicieuses voix. Mais il faut croire que vous êtes tous les trois extrêmement pris, comme moi d’ailleurs. Par nos communes et sublimes besognes mais aussi par les désagréments de la vie quotidienne et chez moi par la durée excessive de soins dentaires dont les derniers sont plus douloureux que les premiers. C’est une des raisons pourquoi je ne suis pas venu à Romont, avec l’autre et essentielle raison de la correction finale de mon roman. […] Est-ce que j’aurai le grand bonheur de vous revoir du côté du Quercy ? Nos petits déjeûners au matin, ces nuits inquiétantes de Joan me manqueront. / A propos de mon pigeonnier, Yoki, tu avais eu la généreuse intention de me dessiner un escalier de bois, celui qui monte de mon bureau à mon dortoir. Tu avais des idées à ce propos. Je ne sais pas si je pourrai entreprendre les travaux cette année mais je pourrai y rêver sur ton plan. Je te remercie. J’y pars dans dis jours. »

Juillet. À Calvignac après le 8. 25 juillet. Mort de Daniel Simond à Acireale (Sicile). 26 juillet. Lettre à sa mère de Calvignac. « Je suis venu ici pour quelques semaines. […] Mes misères chez le dentiste sont finies. Ça n’a pas été une petite affaire. Tout d’abord, l’arthrite a empêché la continuité dans les travaux. Quelle chose assommante que les ennuis de santé qui viennent avec l’âge. Mais nous les Borgeaud nous sommes assez solides. Pourvu que de l’autre côté, ce soit le cas aussi. […] François Nourissier et sa femme m’ont invité chez leurs parents M. et Mme Maurice Rheims, en Corse. J’ai dû refuser car je n’avais pas, je n’ai pas les moyens de me payer le voyage en avion, ce qui, parait-il, est la seule façon d’aller en Corse. Le bateau met deux jours. Puis je suis à l’âge où je n’aime plus être ailleurs que chez moi. J’aime mon appartement de Paris, j’aime ce pigeonnier bien qu’il soit encore assez inconfortable. »

1er août. Carnet : « Hier, 31 juillet, sur la route de Calvignac à Cénevières, un oiseau de la n[ouv]elle couvée se jette sur ma vespa. Je m’arrête et je ne puis que constater sa mort. / 100 mètres plus loin un même oiseau, peut être de la même couvée, est immobile sur la route. Je m’arrête. Il est bien vivant, il apprend à voler. Les siens pépient autour de moi. Je le prends dans le creux de la main et je le dépose sur la rive du Lot. Peut être sera-t-il sauvé ou devorer par une couleuvre. / La nature m’a fait deux propositions. » 3 août. Lettre à Yoki et Joan de Calvignac. Rappelle à Yoki qu’il n’a pas soixante ans que ce dernier venait de lui souhaiter. « Je suis né le 27 juillet 1914 et c’est à cause de cela que la guerre a été déclarée. Je suis l’enfant de Sarajevo. […] Bien sûr, bien sûr que ma joie sera grande de vous recevoir tous les deux ici […] à la date que tu m’indiques. Je vous logerai au pigeonnier, cette fois, si Joan n’a pas peur de grimper à l’échelle. »

1er septembre. Carnet : « Ce 1er septembre 1973, il fait au grès un temps divin, au sens théologique du terme. » 8 septembre. Carnet : « Ce 8 sept. 73 (on compte de plus en plus le temps quand on le voit se rétrécir), un ciel où se forme l’orage mais où la pleine lune se lève, naturellement comme si rien n’était. Cette rencontre d’une fatalité avec l’accident, l’une très haute, l’une basse, qui paraît vertigineuse. / La lune, évidemment puisqu’il fait encore jour, n’est visible que comme un papier de soi dans l’espace, un mouchoir de batiste qui serait rond. / * / J’ai dit longtemps que j’aurais voulu naître à l’origine du monde, quand il était tout neuf / aujourd’hui, son usure me touche plus que tout, cette longue accoutumance au jour, à la nuit de toutes choses. » 10 septembre. Prend son billet de train pour le retour à Paris. 16 septembre. Lettre à Yoki et Joan de Paris. « A bientôt, à Fribourg dans le courant d’octobre (au début) je crois. » 25 septembre. Début du séjour en Suisse pour une dizaine de jours.

10 octobre. Lettre à « Joan, Yoki et Patrick » de Paris. « Oui, j’ai eu une très grande joie à vous trouver tous les trois au bout de ce séjour, un peu manqué, en Suisse. » 16 octobre. Lettre à sa mère de Paris. « Je croyais bien t’avoir écrit du Grès après que tu m’aies annoncé la mort de Daniel Simond. J’en suis même certain. Si je ne l’ai pas fait depuis que je suis revenu à Paris, c’est que j’attendais la confirmation de mon invitation valaisanne afin de te dire à quelle date je me trouverai en Suisse. En fait, ce que l’on me propose, les dates que l’on me suggère[…] ne me conviennent pas, car je suis engagé au journal le Point et je ne peux, en cet instant, quitter Paris. D’autant plus que du 1er décembre au huit décembre, si tout se confirme, j’irai au Sénégal, à Dakar, pour représenter dans une assemblée de francophones la littérature Suisse Romande. Ce sera le premier grand voyage que je ferai hors d’Europe et tu penses bien que je m’en réjouis. […] Dans tous les cas, je ne sais où est allé se promener ma lettre, mais je me souviens bien t’avoir donné de mes nouvelles et demandé que tu me donnes des détails sur la mort de Simond. Il paraît – Gaberel de Vevey – m’a écrit, que tout a été terminé en dix minutes. La crise cardiaque devient avec le cancer l’ennemi numéro un de nos santés. Et la guerre, la voiture ensuite. Nous n’avons pas beaucoup de chances de vivre dans une époque complètement déboussolée. / Je pense que les vendanges ont commencé au pays. L’année sera bonne comme elle l’est en France. La nature continue à nous combler malgré toutes les agressions que nous lui faisons subir. Pour moi, il n’y a plus qu’elle qui me retienne profondément. L’Eglise catholique s’en va en guenilles. Il paraît qu’à l’Abbaye de St Maurice, on chante des negros spirituals et que l’on a presque abandonné l’usage du plain-chant. Zut ! » 19 octobre. Lettre à Gustave Roud. Conservée au CRLR. « Mon bien cher Gustavino, / Le docteur Fasel me téléphone ce matin pour me dire que tu as fort bien “supporté” l’opération et que le chirurgien Henchoz est satisfait, car il est d’usage que celui qui accomplit la chirurgie conclut à la place du patient. Tu ne peux pas savoir combien je suis content et je viens te le dire aussitôt. »

26 novembre. Vaccination contre la variole. 27 novembre. Lettre à sa mère. « Je suis à 4 jours de mon voyage au Sénégal. Je m’en réjouis comme tu penses. Pour t’informer sur mes journées à Dakar, je t’envoie le programme de cette 5ème biennale de langue française. […] J’ai vécu avec J. Chessex durant les journées du Goncourt. C’était assez extraordinaire et quelque peu chahuté. Mais Jacques a beaucoup de chance. »

1er décembre. Arrivée à Dakar. 5 décembre. Carte postale à sa mère de Dakar. « Je te parlerai de ce voyage qui est, pour moi, une surprise continuelle. » 11 décembre. Départ du Sénégal. 25 décembre. Lettre à « Joan – Patrick et Yoki » de Paris. « Votre chambre est retenue ! L’hôtel vous attend. » Même jour. Lettre à sa mère de Paris. « Moi je suis resté seul la nuit à regarder la télévision et la messe chantée par Bécaud à Scogne. Ce n’était pas fameux. » 30 décembre. Carnet : « Ce 30 décembre 73, à la salle gémier un bouleversant orchestre indien dont le soliste est Bissmillah Kahn, jouant sur le Shahnai ou Shannai, c’est à dire hautbois. »