1975

Année des 61 ans, de la médaille d’argent de la ville de Paris, du tournage en Belgique de l’adaptation du Voyage à l’étranger.

Janvier. Proposition d’écrire le chapitre de L’Encyclopédie illustrée du pays de Vaud consacré à Ramuz et au XXème siècle. 2 janvier. Médaille d’argent de la ville de Paris décernée. 6 janvier. Lettre à Bertil Galland de Paris. « Vous savez mon amitié pour tous les deux et ma reconnaissance pour les soins affectueux dont vous avez entouré mes journées valaisanno-vaudoises et dzozettes [fribourgeoises]. Je suis revenu à Paris le 26 au soir, heureux de retrouver mon étage et mon logis de boniche. […] Ma fatigue fut telle que j’ai vécu ces journées de “Fêtes” comme un chat au coin des cheminées, quand ce n’était pas sous la couverture de mes divers lits. »

10 février. Lettre à Bertil Galland de Paris. « J’arrive à Lausanne ce dimanche 16 février […]. Je serai donc tout à ma tâche encyclopédique à partir du lendemain lundi et jusqu’à ce que mort s’ensuive. » 16 février. Début d’un séjour à Romont qui durera jusqu’à fin avril « avec des retours à Paris, au quercy durant la semaine de Pâques [30.03] » (carnet), afin de travailler à sa collaboration à l’Encyclopédie. 28 février. Reçoit une avance de mille francs suisses pour l’Encyclopédie.

Mars. Romont, Paris, Calvignac. 28 mars. Lettre à sa mère de Mayrinhac (Lot). « Ma chère Maman, / Je suis ici, chez des amis, où je me repose enfin de toutes mes allées et venues conséquentes au Renaudot. / Je serai en Suisse dans une semaine, à Romont. Je te ferai signe et t’apporterai mon cadeau d’anniversaire. / En attendant, je t’embrasse bien fort / Georges »

9 avril. Carnet : « Romont ». 13 avril. Carnet :« Toujours Romont ». 18 avril. Carnet : « Fribourg / 18 avril 1975 / obsèques de l’Abbé Journet / cardinal — […] Lui, dom Jean-Baptiste le Chartreux, depuis la mort de Saudan et Viatte, étaient les pierres angulaires sur lesquelles reposait davantage le souvenir d’une Eglise, de ma piété qu’une conviction ferme. » 26 avril. Carnet : « réunion d’amis au Café Suisse de Romont, invitation faite par Pierre et Ilse » (Fasel). Présence notamment de Yoki et Jean Roudaut. 29 avril. Carnet : « Ce mardi 29 avril à St Maurice d’Agaune que je ne vais pas voir. Tout a disparu, liturgie, soutanes, cloches, carillons… Daniel Gay un professeur de littérature, marié, sympathique, de 30 ans me met en face de ses élèves, une trentaine qui ont de 16 à 18 ans, afin de me livrer à leurs questions. […] Puis il y a fatalement la question pour savoir la part d’autobiographie dans mon bouquin. Je leur fais l’éloge de l’imagination, du mensonge qui est dans ma vérité… Ils sourient, ils paraissent mal comprendre. Ils ont ces principes de franchise qui appartiennent à la jeunesse. Je leur dis que ma franchise d’étudiant était surtout une manière d’échapper aux contraintes, mais que la franchise, la sincérité envers soi-même est ardue, difficile à saisir. »

27 mai. Lettre de la Société des gens de lettres de France informant avoir été sollicitée par T.F.1. pour l’adaptation du Voyage à l’étranger.

10 juin. Lettre à sa mère de Paris. « Ma chère Maman, / je serai en Suisse pour 4 ou 5 jours à partir de demain. […] Je viendrai te chercher à la maison, ce dimanche matin [15.06]. » 24 juin. Carnet : « à Sion, le 24 juin 1975, au soir, à l’hôtel du Rhône où m’installe le gouvernement valaisan pour la fête, la réception demain à 11½. Ce qui me touche, c’est ce qui reste de l’Italie des Alpes en Valais. On parle italien à la radio, alémanique au restaurant. / Des palais perdus dans la banalité contemporaine. Bientôt plus personne ne lira l’histoire passée mais rencontrera partout le même présent »

Juillet. Arrivée à Calvignac au début du mois. 27 juillet. Lettre de sa mère. « Mon cher / Je t’ai écris déjà, mais te souhaite encore une fois tes 61 ans j’espère que tu es en bonne santé, j’espère que tout va bien pour le reste, si tu viens encore en Suisse pense que j’aimerais de tes nouvelles. / Je t’embrasse / Ta maman »

5 août. Lettre de Bertil Galland. « Cette petite lettre, je l’écris à l’hôtel de l’Union, à Oron. Souviens-toi, c’est là que tu m’as dicté les légendes du cahier de photographies. Nappes à carreaux mauves… / Mes lignes sont un peu tristes, car je ne peux venir te voir. Tu t’en consoleras, moi pas, car je m’étais beaucoup réjoui. Tu es un petit peu responsable de ce renoncement, car en juillet, je devais préparer les textes de l’Encyclopédie vaudoise, et le tien, que j’ai laissé d’autres te réclamer tant j’ai horreur de te bousculer, était l’un de ceux qui m’ont manqué. Je suis un peu triste, oui, d’avoir à entreprendre des supplications. Je souhaitais, candide que je suis, une apparition spontanée de grosse enveloppe. Pourquoi ne reçois-je pas ce texte dont j’ai un urgent besoin, vraiment et que j’ai surtout hâte de lire ? […] Et tes Pointes sèches paraîtront quand tu me les donneras. Si j’ai le manuscrit pour octobre, nous pourrions les sortir au début de 1976 ? » 9 août. Lettre à Bertil Galland du Grès de Calvignac. « Mon bien cher Bertil, quand ta lettre m’a été remise par le facteur, sous la canicule du Causse, ma température est montée de dix degrés. Non pas de colère mais d’un sentiment brûlant de culpabilité. Merci donc de ne m’avoir pas trop secoué pour mon abominable retard. Je me le reproche tous les jours et encore davantage d’avoir cru facile une besogne gigantesque par sa complexité et la lecture des textes, laquelle lecture est finie depuis longtemps puisque je t’ai rendu la plupart des livres prêtés. […] A Paris, j’ai été fort dérangé par les Ducrest avec qui j’ai travaillé à l’adaptation du voyage pour la télévision… Puis, le dentiste, les derniers cocktails, les mises au point avant les vacances, mes “affaires financières” avec consultations Philippe Méry et homme d’affaires que mes amis Clermont-Tonnerre mettent à ma disposition, la grande maladie de Mme S[…] qui a été opérée aux deux reins dans une clinique parisienne où je suis allé tous les jours, l’après-midi, une visite à Jouve auquelle il tenait, les adieux à Nourissier… Le film encore et toujours. / J’arrive ici. Tout est merveilleux les premiers jours. Je revois immédiatement mon texte, je m’enferme dans le pigeonnier, je corrige, les choses sont faciles, vont être vite emportées, il fait frais, silence, magnifique… Après 4 jours, à dix heures ½ du soir, Alexandre Voisard qui m’a miraculeusement trouvé sur le Causse s’arrête 3 jours ou 4 jours avec toute sa smalah (?). Puis c’est l’arrivée du fils Fasel, Nicolas, la visite des Clermont-Tonnerre, celle en même temps de Jules Roy, puis de passants qui viennent respirer un lauréat… Je retrouve le divin silence et soudain c’est la canicule qui m’éprouve atrocement. Quelle bonne idée de ne pas venir en ce moment. Le pigeonnier est le foyer de Jeanne D’arc où je suis attaché toutes les nuits et tous les jours en craignant qu’un anglais ou simplement le soleil y mette le feu, car le feu existe déjà sans flammes. […] Tout d’abord, oui quel don tu m’as fait en “m’imageant” dans Ecriture dont j’ai reçu dix exemplaires ici, qui sont allés à Paris, ont passé à la douane à Toulouse (?) et que j’ai fait débloquer, encore un de ces pièges de l’administration gauloise. Naturellement, j’ai vu dans mon texte une répétition. Je n’en finiria jamais de me noyer dans le remords scolaire comme un moteur baignant dans l’huile. Je ne suis jamais content de ce que j’écris et je crèverai avec le sentiment d’être toujours en-deça de mes intentions. Il me faudrait 50 ans de vie plus qu’aux autres pour qu’enfin je puisse avoir un peu de répit dans mes scrupules. Il me semble alors que je saurai user de la langue française. […] Il faudrait envoyer à ma mère un n° d’Ecriture. Elle me le réclame avec un ton peu amène. Evidemment, je devrais en distraire un de ma collection mais la poste est à 5 Kms. du pigeonnier et je suis momentanément sans scooter. […] Je pigeonne jusqu’au 8 octobre, tout au moins, je l’espère. Après quoi c’est la Belgique où je vous attends aussi. » 17 août. Lettre à Bertil Galland. « Voici les 32 premières pages du pensum, corrigées. Naturellement, il faut en faire une copie dactylographiée lisible, même si mes corrections le sont assez. Il faut une relecture. Je ne le fais pas, car je foutrai tout en l’air. Mais toi, corrige, améliore, fais tout ce que tu veux. Il faut glisser une page sur André Bonnard que je voulais mettre à la suite d’Edmond Gilliard. / La suite et la fin pour samedi. Mille pardons ! Retaper serait me désespérer. » 25 août. Lettre à Bertil Galland. Livre la seconde tranche du travail. « Il me reste / Matthey – Jaccottet – Perrier (déjà écrits mais pas revues) / puis les poussières d’astres / ou d’étoiles / les journalistes, les revues et / enfin la conclusion / tout cela sera fini cette semaine. / Promis ! »

1er septembre. Lettre à Bertil Galland de Calvignac. « Tout à fait d’accord pour ce que tu avances à propos de l’édition et de la question épineuse des droits d’auteur. Je suis prêt au désintéressement le plus absolu maintenant que je ne suis plus acculé aux misères, étant de l’espèce qui n’a plus à penser à ses droits en priorité. D’ailleurs, tu as toujours été royal avec moi. / Je te donnerai le manuscrit [d’un nouveau livre au nom changeant : Sépias, Pointes sèches…, souvenirs d’enfance du temps de Coppoz et des Ménetrey chez qui GB habitait] avant la fin de l’année. C’est promis. Je vais pouvoir enfin me retrouver après le “pensum.” – Mais il y a encore la Belgique. Essaie de réunir ton petit monde à Orta à une date où je puis venir. C’est un pays magnifique et je suis très ému que tu le connaisses. Je voudrais aussi que toi et Betty vous me rejoigniez à Bruxelles du 21 au 24 octobre. Puis il y a “mon” film dont le premier tour de manivelle aura lieu le 20 septembre. Tout a bien marché avec Ducrest et Christian. / Le Livre de Poche m’a fait des propositions. Il publiera 30 000 exemplaires du voyage. » 5 septembre. Télégramme de Bertil Galland. « Lu les trois parties de ton essai vraiment admirable […] mille fois merci pour texte sans précédent ». 6 septembre. Lettre à sa mère de Calvignac. « … j’ai travaillé d’arrache-pied ici, depuis le 10 juillet jusqu’à jeudi dernier, à un texte que m’avait commandé Bertil pour l’Encyclopédie du Pays de Vaud. Je viens de recevoir un télégramme de lui où il me dit qu’il est content. Ce fut un travail difficile, surtout que les canicules de juillet m’ont beaucoup éprouvé. / Je ne suis pas retourné en Suisse longuement depuis le déjeûner que nous avons pris ensemble à l’hôtel (je ne sais plus le nom), sauf pour aller 24 heures en Valais à la réception que le gouvernement valaisan a donné à mon roman. Nous t’avons envoyé une carte que ces Messieurs ont signée mais tu ne m’en parles pas. C’était une gentille intention, n’est-ce pas ? Je suis arrivé à Sion le soir à 6 heures et j’en repartais le lendemain à 6 heures, sans m’arrêter à Lausanne. J’avais un dîner le lendemain à Paris. / Je vais rester ici encore dix jours, après quoi je remonterai à Paris pour me rendre ensuite en Belgique où j’assisterai à la prise de vues du film que l’on va tourner d’après mon roman. Puis en octobre je serai reçu par l’ambassadeur de Suisse à Bruxelles, Monfrini que tu connais, puis par le Bourgmestre de Bruges… En novembre, je viendrai en Suisse pour une émission de télévision sur le Cardinal Journet. / Puis, je pense passer le mois de décembre à New-York,, chez la belle-sœur de François Nourrissier, si tout va bien. Que de projets ! » 24 septembre. Article de France Soir. « Anna Karina […] va pouvoir consacrer six semaines à la télé pour tourner à Knokke-le-Zoute, sous la direction de Philippe Ducrest, « Le voyage à l’étranger » adapté du roman de Georges Borgeaud par Véronique Castelnau. »

23 octobre. Conférence « Ramuz, hier et aujourd’hui » à Bruxelles, organisée par l’Association de documentation et d’information culturelle et touristique. 24 octobre. Réception organisée par le Comité du P.E.N. Club français de Belgique au Musée Charlier à Bruxelles. Même jour. Carte postale à sa mère de Bruxelles. « Ma chère Maman, un salut de Bruxelles qui a bien changé depuis la guerre. »

21 novembre. Délivrance d’un passeport à Paris.

6 décembre. Lettre à Bertil Galland de Paris. « Mon cher Bertil, / Un grand merci pour m’avoir jugé digne d’appartenir au jury du prix Nicole. J’essaierai de ne pas le décevoir. / Chessex qui était là (je veux dire à Paris) ces jours-ci et que j’ai rencontré par hasard chez Lipp s’est, sans doute, un peu vanté quand il a prétendu être venu à bout personnellement de la résistance de Chappaz envers ma candidature. Je ne puis imaginer que Maurice puisse prolonger sa bouderie dont les prétextes me paraissent encore excessifs. J’ai décidé de ne pas en tenir compte, cela va de soi. / Je n’en continue pas moins à l’admirer ; quand il ne court pas sur des pistes par trop enfermées au seul territoire valaisan, à moins qu’il le fasse d’une manière quasiment rétrospective comme dans son Lötschanthal et que l’on entende ce cri déchirant et combattif pour un monde disparu. De toutes façons, j’en ai parlé avec ferveur de “Maurice de Veyras, à Nice, où quelqu’un est venu, après la conférence, me demander de lui en dire plus à son sujet. […] Je ne suis donc pas allé au Maroc et j’en suis content. Non pas parce que je n’en ai plus envie, mais j’ai senti sur moi passer un grand nuage noir d’où pouvait tomber une lassitude à me tremper jusqu’aux os. Fatigues diverses sans doute, solitude nécessaire, presque introuvable depuis le temps du succès, revers après lui, plutôt malentendus, bref, une remise en question de soi que je touille au fond de la marmite qui s’est un peu trop surchauffée – sans que profondément, j’aie cru à quelque miracle – Il faut se repencher sur la feuille blanche. Pour toi, pour moi, afin de m’en aller du côté de Coppoz où je retrouve la paix, la chaleur et la solitude de l’enfance, surtout, surtout la douceur de toutes choses vues dans le secret et établies dans une hiérarchie que j’ai définitivement acquise là et dans ce temps, que rien jamais ne pourra secouer et faire tomber. Comme il ne s’agit que d’émerveillement et non point de jugement, rien ne viendra vieillir de ce côté / Je te serre la main. Merci. A bientôt une sépia définitive. J’embrasse Joan et Betty, tes enfants aussi. G. » 24 décembre. Carte de vœux à sa mère de Paris. « Je pense venir en Suisse au début de février. »

Fêtes de Noël à Paris, « dans le douillet de ma solitude » (lettre à Bertil Galland du 20.01.76).