1980

Année des 66 ans, du premier renvoi de Grasset du Jour du printemps, de la première mention du Soleil sur Aubiac.

Mars. Proposition d’André Frénaud à collaborer à la revue Sud sur un numéro qui lui est consacré. Proposition acceptée. Fin mars. Se trouve à Calvignac.

Avril. Calvignac.

24 août. Lettre à Bertil Galland de Calvignac. « Mes chers Bertil et Betty, / Non, ne craignez rien, il n’y a pas dans mon cœur une baisse de température dans l’amitié que je vous porte. Il est trop nécessaire d’être aimé pour gaspiller l’affection que l’on nous porte. / Mais vous me deviez une réponse. Je pense même qu’elle était d’importance. Je vous disais dans une vieille lettre du début de l’année (mars ?) que la maison grasset, si elle n’a pas refusé mon roman, m’a demandé de le revoir et de le raccourcir. Vous pouvez penser combien ce jugement m’a accablé. Je vous ai “écrit” – la formule est peu française ! – le réflexe de commisération n’est pas venu de votre côté et j’en ai souffert, pourquoi ne pas le dire. D’autre part, Méry chez Grasset m’avait dit que vous n’aviez pas demandé une co-édition pour le cas où j’aurais paru au printemps, comme il en avait été décidé. Tout cela m’a fait un peu de peine sans pourtant que j’en tire des conclusions excessives. Je me suis senti aimé littérairement avec un peu moins de ferveur. Et puis vous me connaissez, ces coups sur la gueule me font des hématomes partout et sur l’âme comme diraient les vieilles disciplines des internats religieux. / Il faut dire que je ne suis pas revenu en Suisse vraiment depuis les funérailles de Corinna. Je garde de cette journée de fœhn et d’automne un souvenir à la fois douloureux et consolant. Fifon aimait ce vent dont elle a parlé souvent… il y avait de la ferveur et de l’affection autour d’elle comme pour un vivant, même si elle nous quittait pour toujours. Il y a eu le retour avec vous… Non, je n’oublie rien comme dit Piaf. Mais il y a eu ensuite les mauvais jours, le sentiment d’être oublié. Sans doute à tort mais je n’aurai jamais mon content d’amitié, peut-être parce que je ne sais pas exprimé la mienne. / Malheureusement, je ne pourrai pas venir en Suisse pour me tenir debout dans votre vent. Je serai encore ici jusqu’au 15. J’ai mis le point final à un bouquin pour Arthaud-Flammarion sur ce pays dont le titre est le Soleil sur Aubiac. / Oui, j’ai, pour me récompenser de la commande faite (ce soleil sur aubiac) repris, oui vraiment la grande promenade. Non pas pour me faire pardonner je prétends que ce grand arrêt sur ces textes leur servira. J’y mets des nuances que le temps m’inspire. au fond, je serai un bon écrivain quand j’aurai 150– ans mais mon contrat avec Dieu ou Rien ne sera pas honoré. / Mais si vous le voulez encore le bouquin tout à fait en plumes comme un oiseau adulte tombera dans votre assiette très bientôt. […] Non, je ne pourrai pas venir en Suisse avant le début de novembre où j’y resterai un temps assez long. Je dois passer sur la chaise du dentiste et j’ai envie, avant de reprendre mon roman que je trouve bon et dont je ne comprends pas pourquoi Grasset l’a jugé si peu objectivement – aussi il me sera difficile de le reconsidérer mais quoi il faut passer par là, sinon c’est l’arrêt définitif de toutes écritures. Je n’y suis pas résigné bien que je trouve l’encre, la table, le papier de bien pauvres matières. Mais comme ne l’a fait comprendre Bertil, les jours se multiplient et puisque je n’irai pas jusqu’à 150 ans, il faut que je me dépêche. […] Vous voyez j’ai le téléphone malgré que je retourne dans la peau d’un miséreux. »

2 septembre. Carte postale à Pierre-Olivier Walzer de Calvignac. « Bien chers Simone et Pierrot, / je n’ai pas eu le bonheur de vous revoir ici cette année. Sans mentir, vous m’avez manqué. J’ai gardé un tel souvenir de vos passages. […] J’ai eu la visite des Voisard, comme ça, par suprise. Ça m’a fait plaisir. Il a un sacré talent notre coco. Ça m’a permis aussi de voir une plaque du Jura. C’est un petit évènement visuel qui n’est pas loin de ce que demandait je ne sais plus quel disciple de Jesus qui voulait une preuve. » Il s’agit de la plaque d’immatriculation de la voiture des Voisard, aux lettres et blason du canton du Jura “prouvant” l’indépendance – récemment acquise – de ce dernier.

3 octobre. « Entretien avec Georges Borgeaud » à la section fribourgeoise de l’Alliance Française, dans une salle de l’Hôtel Duc-Bertold. 4 octobre. « Causerie avec Georges Borgeaud » à l’Alliance Française de Berne.

7 novembre. Se trouve à Bulle, aux bons soins de Bernard Demierre, dentiste. 23 novembre. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Paris. « Mon bien cher Pierrot, / je suis revenu éreinté de la Suisse. Après Vienne qui n’est pas helvète, Berne, Fribourg, Lausanne, Genève où j’ai retrouvé un vieux camarade de St Maurice, Fernand Gay, dominicain puis défroqué, marié deux fois… sans que tout cela ait changé beaucoup l’adolescent que d’avoir mené une telle vie et je l’en admire – Mon retour à Paris fut une bénédiction : la maison, mes livres, ma musique, ma chatte mon indépendance. Mais je n’ai pas oublié les heures bonnes du séjour, mes rencontres et parmi celles-là notre déjeûner à Bulle. Naturellement, je compte pour une chance inouïe que d’avoir été présenté au public bernois par toi, ton sérieux et ton amitié. Ma reconnaissance te sera éternelle. / A propos de cette entretien et de la suite je voudrais remercier Mme Hahnloser. Je n’ai plus son adresse, si jamais je l’ai eue. aussi donne-la moi dans ta prochaine lettre. / J’ai aussitôt à Paris sorti les lettres de Cingria. Il y en a moins que je ne pense et parmi elles des billets laissés sous la porte à Fribourg ou à la librairie, une épître d’injures amusantes, clouées sur le vantail de la porte de St Saphorin. La lettre dont je t’ai parlé à propos de la mort d’Alexandre est aussi un billet certes reconnaissant mais bref pour remercier G. Richier et moi de nous être dévoués pour lui apprendre la terrible nouvelle (terrible pour lui !) Il n’y a rien là, contrairement à ce que ma mémoire supposait, qui mérite d’être publié dans le dernier tome. Il me semble que ce serait de ma part montrer beaucoup d’orgueil pour imaginer que ce que m’écrivait Charles-Albert mérite de passer à la postérité, d’autant plus qu’une de ces lettres montre le dépit qu’il avait de me voir lui réclamer de l’argent que je lui avais prêté et qui m’était indispensable. […] Pour me faire pardonner ce dédit nouveau je te promets de remettre aux archives Cingria les brouillons d’une correspondance dans les deux sens du terme ainsi que le manuscrit original (frappe et calligraphie) du Novellino qui est ma possession. […] Maintenant, il faut que tu prennes au sérieux l’offre que je voudrais faire de ma bibliothèque et de mes tableaux à Porrentruy. Nous pourrons à l’occasion d’un passage en Suisse envisager ensemble les démarches à faire à ce propos dans les deux sens. / Je suis allé chez Gallimard pour les droits du Préau. La maison n’est pas hostile mais je dois revoir Robert Gallimard qui pensait mettre mon bouquin dans l’imaginaire. Si je pouvais lui suggérer de prendre la Vaisselle des Evêques, tout serait acquis. Mais d’ordinaire, les gens aiment moins ce roman-là. De toutes façons, je veille aux grains. / J’ai reçu de New-York une étrange lettre d’un professeur Beaujour (on le dit canadien) qui aimerait que je vienne à Houston – Texas donner une communication sur Ch.A.C. “Pro Helvetia” semblerait être derrière ce projet. Donc toi ? Si tel est le cas, j’aurai moins de scrupule à accepter car qui mieux que toi est l’homme qu’il faut. Bien sûr le voyage en lui-même est une perspective inouïe. Si je ne me trompe pas dans mes suppositions, alors je suis à tes pieds pour te remercier. Mais naturellement si tel n’est pas le cas, je ne veux pas détruire la hiérarchie qui te met au sommet des méritants. »

6 décembre. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Paris. « Merci pour ta bonne lettre et l’envoi de l’extrait de prise du Bund. J’ai donc, grâce à toi, fait sortir de la tanière alémanique un journaliste. […] Pour revenir aux lettres de C.A.C. il semble que j’ai raison de ne pas vouloir me mettre en avant et si tard. Tant pis pour ma vanité ! Un jour je raconterai l’amitié turbulente entre lui et moi. / L’invitation à New-York et Houston est tombée à l’eau. La raison en a été les difficiles liaisons entre Paris et New-York, dûes à une grève ici, uniquement dans le quatorzième arrondissement, à l’impossibilité d’avoir au bout du téléphone le professeur Beaujour – j’aurai une facture à payer pour des appels vains auquels me répondaient des secrétaires qui ignoraient qu’il pût exister une langue française. Zut ! Il y avait aussi que la lettre invitante m’attendait à Paris depuis dix jours… c’est bête mais je suis bientôt de la même sensibilité que toi à propos des voyages. J’aime à rêver au départ, je me décourage à le préparer. Puis j’aime mes foyers et… ma chatte. Donc, mon regret est atténué. / Mais je suis un peu révolté que l’Ambassade suisse à Chicago m’ait remplacé par un certain Kuffer qui m’avait éreinté dans la Gazette de Lausanne et qui est un journaliste agité et passionnel. J’avais parlé de toi à Beaujour dans le cas où… et même de Chessex qui me paraissait être un meilleur “communicateur” pour Cingria ou de Cingria. Je ne suis pas certain que ce Kuffer soit capable de plonger dans la fantaisie byzantine de Ch. Albert. Il lui trouvera une doctrine. Laquelle ? Le surréalisme sans doute alors qu’il s’agit chez lui du baroque roman et du faste oriental. » 25 décembre. Lettre de Bertil Galland. « Les affaires liées à ton livre ont été compliquées et je n’ai pas su, à te dire vrai, sur quel pied danser. […] Il me tarde de savoir, après des événements qui m’ont été rapportés par la rumeur publique, où tu en es avec Grasset, avec Gallimard, avec Chessex lui-même. Il faut que soit rétabli un rapport direct, mais où es-tu ? »