1981

Année des 67 ans.

4 mai. Lettre à Bertil Galland de Paris. « Bien chers Bertil et Betty, / je vais essayer d’être bref mais j’ai depuis longtemps l’envie de vous écrire sur certaines choses, tout en ayant souhaité que l’occasion d’un voyage en Suisse me permettait de m’entretenir avec vous de vive-voix, ce qui permet nuances, inflexions que l’encre ne charrie pas. Mais comme j’ai reçu ce signe de vous me proposant un nouveau voyage à San Giulio-orta, je vous réponds, tout en vous disant que je ne viendrai pas pour des raisons toutes simples, le manque d’argent dû en grande partie aux échecs subis avec mon roman (bien que le mot échec soit trop fort) et l’adaptation théâtrale de don Carlos de Schiller qui a pris 5 mois de mon existence sans que je voie une perspective d’être accepté avec ma version, comme on me l’avait promis, par un théâtre parisien… Bref, une fois de plus roulé, confiant etc… un peu idiot. Je crois bien que l’idiot en moi est las de la façon dont on le traite. Depuis ma collaboration à l’Encyclopédie vaudoise, j’ai vu se retirer la plupart de mes amis helvétiques (pas vous, bien sûr, mais vous vivez dans l’anti-chambre du rêve) boudent, m’écartent, me jugent ambitieux pour avoir obtenu sans le chercher le prix Renaudot, le bienvenu car sans lui je serais dans la misère et secourable par l’Armée du Salut. Il y a 6 ans et plus que ce prix me fût donné. Vous pouvez penser ce qu’il peut m’en rester en banque, hormis un petit pécule pour payer les planches de sapin qui m’habilleront pour un temps, avant que mes chars et mes os soient lavés par les pluies de la fosse commune. […] Mais un dernier chagrin est le silence d’Alice Rivaz à qui j’ai écrit deux fois, il est vrai un mois après la parution de Jette ton pain. Comme elle ne paraissait pas touchée par ce que je lui en disais avec une admiration sans réserve et que, peut-être, cette admiration sans doute maladroite avait pu dans un esprit aussi torturé que le sein être prise à rebours, j’ai écrit une seconde fois. Aucune réponse. Quand elle a reçu à Lausanne le prix Ramuz, je lui ai envoyé un télégramme. Il n’a laissé aucune trace et je n’ai pas reçu son livre que tu as édité. Il y a là de quoi me faire pleurer. Sans doute dois-je m’attendre à être mal aimé ici ou là, peut être même dans le journal de Roud. Et pourtant… et pourtant… un jour je tâcherai de savoir pourquoi on m’aime si mal, moi qui ne joue de tour à personne, qui est peut être un peu trop franc parfois mais avec la sauvagerie des animaux libres à qui on préfère donner à manger dehors, jamais dedans, sauf quelques uns, vous j’en suis sûr. Mais je suis malheureux de tout cela. Je vous embrasse G. »

18 juin. Lettre à Jean et Christiane de Lavallaz. « Merci d’avoir été voir ma tronche au musée. C’est un beau buste de Richier. Quand je saurai le nom du conservateur, je lui écrirai un mot pour lui demander, sinon de mieux me placer, tout au moins de nommer le scarabée que le sculpteur a reproduit… »

31 août. Lettre de Calvignac à Jean et Christian de Lavallaz. « Je suis encore ici et je vais y rester jusqu’au 15 septembre. (…) Je serai en Suisse à partir du 7 octobre, à Epalinges tout d’abord où l’ont me fait rencontrer les petites classes vaudoises qui vont m’interroger sur le “métier” d’écrivain. (…) J’ai passé un été de flegmardise avec mauvaise conscience, sinon je ne serais pas suisse. La littérature est une admirable corvée. La maison Arthaud qui publiera mon livre sur ce Lot est en faillite. Flammarion va l’absorber tout à fait. Mon manuscrit se promène dans les malaxages. Pourvu qu’il résiste. / Un grand merci pour les belles photos du buste. En Valais, je m’occuperai de lui et de sa présentation au Musée. On saura qui est le conservateur. »

1er septembre. Lettre à Bertil Galland de Calvignac. « Bertil, je ne sais comment est l’état de ton amitié à mon égard. Il me semble que j’aurais mérité une réponse à la lettre de désarroi que je t’ai envoyée, jugeant que tu étais le seul capable de guérir en moi un soudain, pourquoi ne pas le dire, déséspoir. Peut-être excessif, inattendu de la part de quelqu’un qui en général retient ses humeurs et la confidence de ses chagrins surtout. Tu n’étais nullement l’objet de ce chagrin puisque je t’écrivais. Tu me paraissais le seul ami de là-bas qui pouvait me comprendre, en même temps me remettre en état. Tu n’as pas répondu… pourtant, je ne suis pas un tourmenteur fréquent. C’est peut-être pourquoi tu n’as pas d’indulgence pour mes découragements. Tant pis ! / Pour te dire seulement que les n°s que j’ai reçus d’Ecriture sont remarquables. Il me semble que je devais te le dire puisque tu m’as fait l’honneur de me mettre dans le comité. / Maintenant, pourrais-je obtenir la faveur d’un s.p. du livre d’Alice Rivaz que tu viens de publier et que je n’ai pas reçu ? Cela a été aussi un de mes chagrins. Merci. Je suis ici jusqu’au 22 septembre. / Amitiés à Betty / à toi. G. » 17 septembre. Lettre de Robert Gallimard informant que Le Préau ne sera pas repris en Folio. 27 septembre. Lettre de Bertil Galland. « je mets fin à mon activité d’éditeur. […] Mon regret, à ton égard, est d’avoir attendu en vain depuis 1974 le manuscrit de La Grande Promenade. Et nunc manet in te. […] Il me manque pourtant d’avoir pu parler avec toi, de toi, de la panne (incompréhensible elle aussi), de tes publications […] Mon affection pour toi est sans ombre. Mais je voudrais être délivré de ton soupçon que Betty et moi t’oublions. Jamais je n’oublie certaines choses que tu m’as dite et qui m’illuminent à tel point que tu demeureras, pour moi, l’ami aux plus fines intuitions, le sourcier. »

10 novembre. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Paris. « Figure-toi que la maison Arthaud a décidé d’arrêter la collection où devait paraître mon livre sur le Quercy. C’est une catastrophe qu’il me faut associer à celle du roman, sans que cela soit tout à fait catastrophique puisque Grasset me publiera après que j’ai repris certains passages. Quant au Quercy, Nourissier cherche pour lui un éditeur. / Et puis comme une mauvaise nouvelle n’est jamais seule, Gallimard renonce à publier le Préau dans Folio, malgré les promesses. Le socialisme est peut être une excuse pour beaucoup d’affaires mais c’est possible aussi. Nos nouveaux hommes politiques ne meurent pas, hélas, car le ridicule n’a jamais tué comme on le prétend. / Ainsi as-tu le pouvoir de convaincre Dimitri de prendre mon bouquin dans ta collection Poche, avec la préface de Nourissier, si elle te convient. » 16 novembre. Lettre à Pierre-Olivier Walzer de Paris. « Merci pour ton invitation pour Berne – Apollinaire. Ce n’est pas possible de venir car, en effet, je rentre ou à peu près d’un séjour “agité” en Suisse : j’avais à rencontrer en Valais le président de ma commune pour lui demander d’envisager, malgré mes négligences, un versement d’une assurance vieillesse “que je ne touche pas.” Puis surtout un traitement à Bulle chez le dentiste Demierre qui a extrait de ma mâchoire inférieure trois dents. […] Oui, le livre sur Corinna Bille est émouvant. J’aime beaucoup la formule documents photographiques commentés ou suivant les évènements. Second amant, dis-tu ? Mais non, premier amant puisque le mari, comme le dit le droit canon, n’avait pas consommé la virginité. Mais était-ce nécessaire de révèler tout cela ? Il y a un roman, la Vaisselle des Evêques, qui raconte un peu les évènements, mais, hélas, avec encore du ressentiment alors que tout est devenu pour moi un magnifique ailleurs et cruel aussi. » Même jour. Signature de l’ouvrage sur Jacques Gleiny au 31, boulevard Berthier, Paris 17.

23 décembre. Lettre à Jean et Christiane de Lavallaz. « Je suis resté peu de jours chez vous et pourtant j’y étais bien. Mais il y a eut l’accident dentaire, la pluie et une certaine mélancolie a être près, trop près de souvenirs parmi lesquels certains bons d’autres amers. Mais j’aime votre maison et le réveil du matin bercé par le sifflet au far-west train du complexe Chippis. Salue ce Mr docteur qui me connaît et qui prend la place de J. L. de Chastonay. Lui aussi entre dans l’âge de la retraite. On ne manquera pas de mourir. »